mercredi 2 septembre 2015

Forteresse de Salses : la belle frontalière



Aujourd'hui, on repart en visite en direction du Moyen Âge. Durant mes vacances dans le Sud, j'avais comme toujours envie de visite et il fallait allier cela à la météo. Avec le vent des Pyrénées Orientales, la fraîcheur d'une construction médiévale et l'intérêt de cette bâtisse impressionnante, elle fut désignée grande gagnante ! Il faut dire que depuis mon emploi à Vincennes, j'ai une petite passion pour l'architecture médiévale assez massive, ce qui est en totale opposition avec mon amour du luxe et de l'opulence des châteaux modernes. Enfin bref, retournons au XVe siècle dans cette forteresse quasi-imprenable à l'espagnole. Allez, suivez moi …

Historique de la forteresse


Tout commence sous la période des rois Catholiques en Espagne, au XVe siècle. Voulant protéger la frontière fragile entre la France et l'Espagne, Ferdinand II d'Aragon (1452-1516) et Isabelle 1e de Castille (1474-1504) décident de la construction d'une forteresse. Celle-ci émerge rapidement et une grande partie est construite entre 1497 et 1504, face au fort français de Leucate. L'architecte, Francisco Ramiro López, s'inspire du tracé à l'italienne pour donner de la modernité aux structures médiévales qui commencent à devenir obsolète. Mais en 1503, les français attaquent déjà leurs ennemis, dans une forteresse non terminée. Il s'agit pourtant d'une victoire espagnole : ils ont fait explosé la première mine de guerre, faisant plusieurs centaines de morts. Il n'empêche que grâce à cette attaque, l'architecte put modifier ses plans et renforcer la défense.

On parle quand même d'un bâtiment rectangulaire de 115m de long pour 90m de large avec une « fortification semi-enterrée et à tirs rasants », des murs très épais, entre 6m et 15m selon où l'on se trouve. Le plus épais se trouve au niveau des fondations. On creuse des douves si profondes que seule la partie supérieure de la forteresse est visible dans le paysage, on crée un réseau d'évacuation de la fumée provoquée par l'artillerie (une nouveauté à l'époque) grâce à de nombreux puits et systèmes souterrains, il y a de nombreuses tourelles et des meurtrières un peu partout, si bien qu'on peut défendre par tous les côtés, même côté espagnol, c'est dire ! En même temps, on pouvait y trouver jusqu'à 1500 hommes et 300 chevaux, autant avoir une protection digne de ce nom, surtout à un poste de frontière.
Plan de 1725 (Gallica)

C'est aussi dans la forteresse que Charles Quint (1500-1558) et François 1e (1494-1547) signent un énième accord de paix, qui ne se tiendra qu'à moitié vu que les deux hommes ne s'aimaient pas et François 1e avait plus l'air d'un troll professionnel que d'un roi, mais ce n'est pas la question. La forteresse reste relativement tranquille durant le XVIe siècle et une partie du XVIIe, jusqu'en 1639. A partir de là, la France a une obsession évidente de reprendre le Roussillon (donné par Charles VIII en guise de libération à Ferdinand II d'Aragon, autant dire que c'était pas un cadeau d'anniversaire.) et de montrer la supériorité de la France face à une Espagne déclinante (et consanguine, mais ce n'est pas le souci). Le 20 juillet 1639, après quarante jours de siège, la forteresse tombe entre les mains des français commandées par le prince de Condé, Henri II de Bourbon, et le maréchal de Schomberg, gouverneur du Languedoc. Seulement, pas malin les français, ils n'ont pas démantelés leurs ouvrages crées pour le siège, et ils n'ont pas prévu de grandes réserves. Alors quand les espagnols reviennent plus nombreux le 1e septembre, le siège va être long, très long, jusqu'au 6 janvier 1640 où, affamés, les français sont obligés de se rendre, avant de la reprendre en 1642. Mais le traité des Pyrénées, mettant fin à la guerre franco-espagnole, met fin aux prétentions de la forteresse. Ce traité décide de la paix, du mariage de Louis XIV (1638-1715) et de l'infante Marie-Thérèse d'Autriche, mais aussi le rattachement du Roussillon à la France. Salses, à une quarantaine kilomètres de la frontière, devient totalement obsolète.
Vous voyez la colline sur la photo du haut : c'était la frontière française lors de la construction.
Sur la photo du bas, vous distinguez le Pyrénées au loin, la frontière actuelle.

On pense à la raser, mais plus intéressant, on en fait une prison. Vu l'épaisseur des murs les couloirs interminables, difficile de s'échapper d'ici. Durant l'hiver 1682-83, dix-neuf prisonniers, condamnés par la Chambre Ardente. Parmi ce petit monde : l'avocat Jean Terron de Clausel et Rabel, amis de La Voisin ; La Coudraye (dit Laboissière), amant de la Filastre  … La plupart avaient des secrets impossibles à divulguer, et se trouvaient plus ou moins mêlés à Madame de Montespan. Rappelez vous que la fille de La Voisin avait donné le nom de la marquise de Montespan parmi les dames de qualités qui faisaient appel aux poisons et au diable. Au bout de trois ans de surveillance assez relâche, les prisonniers décidèrent de s'enfuir. Dans la nuit du 14 au 15 juillet 1686, dix sept détenus s'évadèrent. L'un d'entre eux, Rabel, ne partit pas avec eux, et prévint même la garde ! Les évadés furent retrouvés à quelques lieues de là, et furent enchaînés dans leur cachot … muré. Ils avaient un « lavabo » qui leur fournissait de l’eau ainsi qu’un petit trou pour l’arrivée d’air, mais aucune nourriture. Le docteur Rabel (le délateur) raconte qu’il entendait leurs cris malgré l’épaisseur des murs, et ceci pendant plusieurs semaines. Cannibalisme ? Peut être. Toujours est-il qu'on ne redécouvrit les squelettes qu'en 1936

Pour revenir un temps plus joyeux, la forteresse fut inscrite aux monuments historiques en 1886.

Récit de la visite


La visite est découpée en deux : la visite libre du rez de chaussée et de la cour et la visite guidée pour les terrasses, les parties hautes et surtout le donjon. La visite guidée est indispensable car sinon vous ratez le gros de la forteresse et ce serait dommage de dépenser 7,5€ pour trente minutes dans une cour.

La cour dessert tous les bâtiments l'entourant, la visite est assez intuitive et il y a très peu de risque de se perdre. On y voit tout d'abord un petit musée avec des fouilles archéologiques, où on a retrouvé des objets du 17e siècle. Armes bien sûr, mais aussi des jeux : dés, osselets, dominos, morpions ou jeu de l'escampissade. Qu'est ce que ce jeu ? Hé bien on trace un cercle de 80cm au sol, en son milieu se trouve une pyramide de noyaux d'olives (on fait avec ce qu'on peut). Les joueurs placés autour font tournoyer, à tour de rôle, un morceau de poterie accroché à un cordon dans le but de démonter la pyramide, noyau par noyau. Youhou ! Les pauvres espagnols enfermés ici, sans nanas ni alcool (réservés aux officiers et au gouverneur), on fait comme on peut, et les journées doivent être bien longues.

Des autres bâtiments, on peut visiter les écuries, qu'il faut descendre pour se retrouver presque dans le noir. Pour animer tout cela, une exposition d'art contemporain y est installée, d'Ange Leccia, une artiste corse et on peut admirer ses différentes vidéos « La Mer », « Orage A, Orage B » et
« Nymphéa » (avec Lætitia Casta en guest dans la dernière). Entendre et voir l'orage dans ces endroits sombres avait un côté inquiétant, mais aussi fascinant. Vous le découvrirez, je ne suis pas une grande fan d'art contemporain en règle générale, mais cela avait rendu intéressant, et envoûtant. J'ai bien dû rester plusieurs minutes à observer Lætitia Casta sous l'eau telle une sirène.
Vue du donjon depuis la cour ; vue d'ensemble de la cour et du corps de logis ;
Le chat du château :) et fouilles archéologiques des jeux d'époque

On peut aussi admirer le rez de chaussée des logis (sur les trois étages) et aussi le réduit, au pied de la forteresse où l'on peut admirer la boulangerie, les cuisines, l'arsenal. Ce dernier était séparé du reste des bâtiments par un fossé intérieur. Dans le cas où les ennemis arrivaient, on pouvait s'y retrancher, avec la nourriture et les armes. Petite anecdote amusante, dans ce fossé intérieur se trouvait un chat. On avait vu l'animal à l'extérieur, puis se balader là comme chez lui. Je pense qu'il appartient à la forteresse (un peu comme le chat du château de Vincennes) mais il se sentait comme chez lui en tout cas !

On peut aussi visiter une chapelle, dédiée à Saint Sébastien, et bien sûr la cour en elle-même, appelée place d'armes, permet d'avoir une belle vue de l'ensemble de la forteresse, avec en son centre un puits. Il y a environ quatorze puits à l'intérieur, mais la plupart servent à refroidir les canons, tandis que celui-ci servait vraiment à puiser l'eau pour les chevaux et les hommes. Un puits pour tout ce monde, il fallait pas avoir soif toutes les heures !

Un fois ce petit tour terminé, l'autre partie se fait en visite guidée, sans doute pour des questions de sécurité, car il n'y a pas vraiment de sortie de secours, les couloirs sont étroits et je pense que des gens peuvent s'y perdre (genre moi). On ne visite que les parties dites hautes : les terrasses, une tour d'artillerie et le donjon. Mais il y a à voir ! Des terrasses, on peut se rendre compte de la proximité de la frontière française, et donc du point stratégique de Salses. Il n'était pas con l'Aragon, lorsqu'il l'a fortifié ! En tout cas, la vue sur les Pyrénées (donc la frontière actuelle) est superbe. Par contre attention au vent ! N'y allez pas en jupe, comme moi … #boulet

Après ce bol d'air frais, place aux couloirs étroits et sombres. Si on ne se trouvait pas dans un fort militaire, j'aurais pensé qu'on allait dans un coupe-gorge. Pour les plus grands il faut se baisser, l'endroit est vraiment petit, très pratique en cas d'invasion. Hé oui, si les français arrivaient, ils ne pouvaient entrer qu'un par un dans le couloir, ce qui ralentissait l'avancée ! On arrive donc dans une tour d'artillerie où se trouve en son centre un conduit central un peu à tout faire. Au fond, il y avait bien sûr un puits pour l'évacuation des fumées, mais cela servait aussi de monte-charges pour les armes et munitions, mais pour donner des ordres le plus rapidement possible, sans envoyer un soldat courir dans ces petits couloirs. Il n'y a pas à dire, tout était bien pensé pour être rapide et efficace en cas d'attaque !
L'étroitesse des couloirs ; vue du puits à l'intérieur de la tour ;
Salle à manger dans le donjon avec cheminée, évier et alcôve.
On accède enfin au cœur de la forteresse : le donjon, dite la tour de l'Hommage. C'est aussi l'habitation du gouverneur et lieu de décision du corps officier. Malgré l'aspect massif du bâtiment, on y retrouve tout le confort moderne de l'époque avec de larges cheminées, des éviers (sans eau courante mais n'oubliez pas, il y a un puits ! ), monte-charges (pour l'eau du puits et aussi la nourriture), des latrines avec un tout-à-l'égout, des fenêtres avec des bancs latéraux. On y trouve aussi le garde-manger, très pratique en cas de siège, et une grande salle à manger pour des réceptions. On peut être gouverneur de forteresse et avoir une vie sociale. Mais puisqu'il s'agit avant tout d'un bâtiment défensif, on retrouve des embrasures de tir, avec des grilles d'aération, en cas d'attaque sur trois étages.

Au rez de chaussée, on nous montre une des rares cellules conservée ici. Comme beaucoup de forteresses (Vincennes par exemple), on les a transformées en prison, et je peux vous dire qu'être enfermé là, ça ne devait pas être une partie de plaisir ! Comme je vous l'ai expliqué précédemment, il s'agissait de prisonniers de l'Affaire des Poisons, qui ont fini par être emmurés vivants. La note se termine assez peu joyeusement à dire vrai … Heureusement qu'il y a toujours le plaisir de passer le pont-levis et de découvrir la boutique. Par manque de chance, la carte bleue ne marchait pas et j'avais peu d'espèces (l'homme de compagnie, n'en parlons pas) mais il y avait beaucoup d'ouvrages sur le Moyen-Âge dont j'ai noté les références pour agrandir le nombre d'ouvrages à lire un jour !

Mon avis


C'est un très bel endroit, j'adore cette architecture à moité en pierre à moitié en briques, ce n'est plus tout à fait un château fort ni encore un bastion du XVIe siècle, c'est une architecture dite « de transition ». La visite prend la demi-journée environ et la visite guidée est essentielle. Je regrette juste que la guide n'ait pas plus mentionné que cela l'affaire des Poisons, il a fallu que des gens posent des questions de manière insistantes mais il faut bien parfois trouver un défaut. Il y a beaucoup à voir dans la région, ce n'est que ma première escapade dans les Pyrénées Orientales !

Pour plus d'informations sur les tarifs et comment s'y rendre : http://www.salses.monuments-nationaux.fr/ 


Et vous, y êtes vous déjà allé ? Ou alors avez vous une autre visite à me conseiller dans le coin ?  

4 commentaires:

  1. Il a l'air sympa ce château ! Je ne connais pas du tout la région, je note si un jour j'y vais. J'aime bien les anecdotes sur l'Affaire des poisons. Le coup d'emmurer les prisonniers, c'est horrible. Le détenu qui les a dénoncés est un vrai troll xD

    (et que dire de l'homme de compagnie qui n'avait pas sa carte bleue ... :o )

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    1. Oui le coup de l'Affaire des Poisons était vraiment intéressant ! Et le troll a pu être quand même libéré, comme quoi être un sale type peut aider xD

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  2. ça a l'air vraiment intéressant! Et puis vu la lumière et la couleur du bâtiment, il y a sûrement moyen de faire de très belles photographies!

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