jeudi 3 mai 2018

Histoire de la Belgique 7 : Albert 1e et les guerres




On entre dans le 20e siècle belge, l'ère de la modernité mais aussi des grands drames pour ce petit royaume, comme pour l'Europe entière. Le second roi, Léopold II meurt en 1909 et c'est son neveu qui monte sur le trône sous le nom d'Albert 1e. Malgré la Grande Guerre et les destructions, il donne un nouveau souffle à la Belgique ! Un peu trop peut être pour les événements futurs … Mais restons encore dans le premier tiers du 20e siècle, le dernier chapitre viendra plus tard …


Le 20e siècle, nous sommes si proches. Que de chemin parcouru pour ces territoires belges durant l'Antiquité, le Moyen Âge avec les Bourguignons, puis l'ère moderne des Habsbourg d'Espagne puis d'Autriche … Puis la Révolution de 1830, devenant enfin la Belgique actuelle. Nous nous étions arrêtés avec le deuxième roi de la dynastie des Saxe-Cobourg, Léopold II. Pour rappel, ce roi capricieux aux rêves de grandeur et de colonies avait un caractère très dur, n'aimant pas grand monde. En tout cas, ni sa femme ni ses filles, son fils étant mort jeune. Si, il voyait un grand avenir pour son neveu Baudoin, son successeur … mais ce dernier meurt aussi en 1905. Son fils, son neveu et son frère enterrés, le prochain sur la liste est son autre neveu Albert, qu'il n'apprécie pas trop, les deux hommes sont bien trop différents. Mais qui est vraiment ce prince Albert, héritier du trône de Belgique alors qu'il était quatrième dans l'ordre de succession ?

Albert naît à Bruxelles le 8 avril 1875, second fils de Philippe, comte de Flandre (frère cadet de Léopold II) et la princesse Marie de Hohenzollern-Sigmaringen, qui comme son nom ne l'indique sans doute pas, est allemande. Autant dire qu'à cette époque, Albert n'imagine pas un seul instant devenir roi. Son cousin, son frère aîné et son père dominent l'ordre de succession, et c'est tant mieux comme ça. Le jeune homme n'aime pas vraiment les études ni s'occuper des affaires d’État, il préfère la mécanique, ce qui lui permet de rester dans son coin avec sa timidité. Pourtant, comme tout bon membre de la famille royale, il entre à l’École royale militaire, et en ressort sous-lieutenant au régiment des grenadiers. Ce qui va le changer, c'est son voyage aux États-Unis pendant quatre mois en 1898, très formateur pour le futur souverain, lui donner d'autres perspectives politiques, et bien sûr renforcer la dualité avec Léopold II, le roi inflexible contre ce jeune prince très ouvert d'esprit.

Différents portraits d'Albert de Belgique (bAlaT)
Ce garçon timide a pourtant réussi la prouesse d'un mariage d'amour et de bonne famille. On le rappellera jamais, les mariages princiers et royaux ont tout le temps un intérêt politique, l'amour on s'en fout. Si ça arrive après tant mieux, sinon tant pis ! Mais la société évolue petit à petit, on voit l'amour conjugal comme une bonne chose et on ne jette plus vraiment ses enfants dans la fosse au mariage de gré ou de force, ou du moins on fait ça avec plus de délicatesse. Et Albert a trouvé l'amour … à un enterrement. Pourquoi pas, on ne juge pas ! Il faut dire que toutes les familles d'Europe se sont réunies pour les funérailles Sophie-Charlotte en Bavière, duchesse d'Alençon, morte dans l'incendie du bal de la Charité le 4 mai 1897. Sœur aînée de Sissi, épouse d'un Orléans, il y a de quoi rameuter l'Europe entière ! Albert s'y rend donc et rencontre Élisabeth en Bavière, nièce de la défunte. Autant dire qu'elle n'est pas la pouilleuse de derrière les fagots car son père est Charles-Théodore en Bavière, duc en Bavière, et sa mère est la fille du roi déchu du Portugal Michel 1e, Maria Josepha du Portugal. Ah oui et elle est à la filleule de Sissi. Bref, après cette généalogie, les deux jeunes gens se rencontrent et se plaisent. Vraiment beaucoup, vu leur correspondance passionnée ! Au début, Léopold II n'est pas chaud, il la trouve trop maigre, mais cet opportuniste voit en ce mariage l'occasion de nouer avec une grande famille, alors hop il donne son accord et les jeunes amoureux se marient en 1900 avant de s'installer loin du Palais Royal (où le roi est chiant), rue de la Science. Et on voit qu'ils s'aiment car en six ans, trois enfants naissent : Léopold (1901), Charles-Théodore (1903) et Marie-José (1906). Dans le lot, il y a un roi, un régent peintre et une reine d'Italie, pas mal sur le papier, à voir dans la réalité …

Elisabeth en Bavière et Albert de Belgique, 1903 (bAlaT)
Le couple se montre populaire et dynamique, pile dans l'ère du temps : ils s'engagent dans des œuvres de charité, créent l'Œuvre royale de l'Ibis pour venir en aide aux orphelins de pêcheurs. En 1909, peu avant son accès au trône, Albert de Belgique visite le Congo belge et critique ouvertement les conditions d'exploitation que son oncle ne semble pas voir. Comme je l'ai dit précédemment, Albert s'est rapproché du trône avec la mort de son cousin et son frère, puis de son père en 1905, le voici héritier du trône. En 1909, le couple vit la double tragédie familiale : Élisabeth perd son père le 30 novembre, et c'est au tour de Léopold II de succomber le 17 décembre. Voici Albert devenir Albert 1e de Belgique.

Un roi populaire dans la tourmente internationale


Le nouveau souverain tranche avec son prédécesseur, c'est un homme timide, mauvais orateur avec beaucoup de compassion et une fibre sociale, le rendant populaire dans un contexte difficile. Il faut dire qu'Albert est aidé par son épouse, qui l'épaule. Ce n'est pas un roi qui porte la couronne mais un véritable couple, ils sont ensemble dans toutes les représentations, une union mise en avant par la presse, avec la volonté que le royaume en fasse de même. Ils ont la volonté de se rapprocher du peuple, allant jusqu'à prêté serment dans les deux langues. Le pays, paralysé par la politique dure de Léopold II, a besoin de réforme. Un problème : le Parlement est dominé par le parti catholique, conservateur avec son triptyque Kerk-Keuken-Kinderen (église-cuisine-enfants) et les réformes prennent un temps monstrueux, notamment celles du système de pension et de la sécurité sociale. En 1913, une grève énorme se met en place dans tout le pays, organisé par le parti ouvrier belge (POB), on compte entre 300 et 450.000 grévistes pendant dix jours !

En dehors des frontières, la guerre rôde. L'Europe est tendue comme jamais, mais la politique belge se montre ferme : neutralité à tout prix. Après tout, ça avait déjà marché par le passé. Albert 1e se rend donc en France puis en Allemagne pour expliquer son point de vue. Le Kaiser Guillaume II tente de rappeler les origines allemandes de sa famille et Albert de lui répliquer « Je suis Saxe-Cobourg, je suis aussi Orléans, mais je ne saurais oublier que je suis surtout belge ! » Le ton est lancé. Pourtant, réaliste, le souverain continue de mener la politique du service militaire obligatoire, préférant trop en faire pour protéger son petit royaume. Il le sait, Guillaume II n'a rien d'un tendre, et si l'on est pas de son côté, on passe à l'ennemi. L'attentat de Sarajevo le 28 juin 1914 met le feu aux poudres et tout s'accélère. Le 2 juillet, le Kaiser Guillaume II lance un ultimatum à la Belgique, mais Albert 1e refuse. Les allemands envahissent donc la Belgique qui n'avait rien demandé, et le 4 août, Albert 1e prononce un discours mémorable :

« Jamais depuis 1830, heure plus grave ne sonna pour la Belgique.

La force de notre droit et la nécessité pour l’Europe de notre existence autonome nous font encore espérer que les événements redoutés ne se produiront pas, mais s’il faut résister à l’invasion de notre sol, le devoir nous trouvera armés et décidés aux plus grands sacrifices. Dès maintenant, la jeunesse est debout pour défendre la patrie en danger ; un seul devoir s’impose à nos volontés : une résistance opiniâtre, le courage et l’union.
Notre bravoure est démontrée par notre irréprochable mobilisation et par la multitude des engagements volontaires. Le moment est aux actes. Je vous ai réunis pour permettre aux Chambres de s’associer à l’élan du pays. Vous saurez prendre d’urgence toutes les mesures. Vous êtes tous décidés à maintenir intact le patrimoine sacré de nos ancêtres. Personne ne faillira à son devoir. L’armée est à la hauteur de sa tâche. Le gouvernement et moi avons pleine confiance. Le gouvernement a conscience de ses responsabilités et les assumera jusqu’au bout pour sauvegarder le bien suprême du pays.
Si l’étranger viole notre territoire, il trouvera tous les Belges groupés autour de leur souverain qui ne trahira jamais son serment constitutionnel.
J’ai foi dans vos destinées. Un pays qui se défend s’impose au respect de tous et ne périt pas.
Dieu sera avec nous. »


Dans ce combat de David contre Goliath, malgré une bravoure belge, la supériorité numérique allemande gagne du terrain, et les belges sont contraints de se replier derrière l'Yser, position qui sera tenue pour les quatre années à venir. D'ailleurs, le roi reste avec ses soldats, il tient à partager leur quotidien et crée son quartier général à La Panne, petite ville côtière, devenant ainsi le cœur de la Belgique libre ! Avec son épouse, ils organisent une petite cour en exil avec des politiques, des artistes, et cette présence motive les troupes. La reine Élisabeth crée l'Orchestre symphonique de l'armée de campagne, apporte son soutien aux blessés et surtout, joue un peu les espionnes. En effet, le couple a préféré envoyé leurs enfants étudier en Angleterre, et la souveraine part les voir … et transmet quelques messages aux britanniques.

Albert 1e à la Villa Maskens à La Panne, 1916
Pendant ce temps, les allemands se demandent ce qu'ils vont faire de leurs nouveaux territoires : annexion ou rattachement ? La Belgique deviendrait-elle une province relativement indépendante comme elle l'a été pendant des siècles aux Habsbourg ou doit-elle devenir allemande ? Au fil des mois, le second clan l'emporte mais la position géographique et politique de la Belgique pose des soucis. Alors le gouvernement germanique a une idée et se lance dans une Flamenpolitik, pour attiser les tensions entre le Nord et le Sud (wallons contre flamands en somme). Cette politique aura surtout une incidence bien plus tard, mais nous en reparlerons … Albert se refuse à une guerre totale, à céder à l'oppression allemande, pas question pour lui de faire couler le sang de ses soldats inutilement. Un mythe naît … Il devient le Roi-chevalier, celui qui préfère la paix à la guerre, la diplomatie à la bataille. Pourtant, il faut bien se battre, et les belges peuvent se vanter de plusieurs victoires, comme la reprise de Gand.

Pourtant le roi ne s'oppose pas seulement à l'Allemagne, mais aussi subit des conflits internes, notamment avec son chef de gouvernement, Charles de Broqueville, dont ce dernier remet sa démission le 31 mai 1918 au profit de Gérard Cooreman. Le nouveau chef de gouvernement a un projet d'un gouvernement d'union nationale et de reconstruire la Belgique par de profondes réformes : suffrage universel, reconnaissance de la langue néerlandaise … Cela va marquer une nouvelle étape dans le royaume de Belgique. Le 22 novembre 1918, la famille royale fait un retour triomphant à Bruxelles, et le roi fait un nouveau discours pour les réformes à venir. C'est l'âge d'or belge qui va aller jusqu'à la mort du souverain.

L'âge d'or belge


Il faut dire que l'on partait de loin, la Grande Guerre a fait environ 40.000 morts, avec une lourde baisse de la natalité et un taux de chômage record. Et pourtant, au milieu de tout cela se développe une volonté d'avancée, un recul du parti catholique et une famille royale tellement adorée que se développe un véritable merchandising avec des boîtes à biscuits, statuettes, pièces commémoratives. Alors votre tasse à l'effigie d'Elizabeth II, vous devinez un peu d'où ça vient !

En 1919, le traité de Versailles est signé. La Belgique sait qu'une frange nationaliste espère étendre les frontières du royaume et détriment des allemands. Seulement, la Belgique n'est pas en position de force pour les négociations, les français veulent faire tomber les allemands (une revanche de 1870), les anglais et les américains veulent montrer qu'ils sont forts. Finalement, ils obtiennent quelques compensations : extension par des cantons à l'Est, la tutelle des territoires africains du Rwanda et l'Urundi, ainsi que 2,5 milliards de francs-or. Albert 1e voit le danger de mettre l'Allemagne à genoux et refuse de trop en demander. Il voit aussi les dynasties partir en fumée, comme les Romanov en Russie, les Hohenzollern d'Allemagne partis en exil, et les Habsbourg d'Autriche, contraints d'abdiquer. Il est le seul à en être sorti vraiment grandi et le couple royal profite de sa popularité pour entamer une tournée internationale. Des rocks-stars avant l'heure ! En 1922, deux archéologues trouvent une tombe inviolée dans la Vallée des Rois en Égypte. La reine Élisabeth s'y rend et est l'une des premières européennes à visiter ce site archéologique, le tombeau de Toutankhamon. L'agent consulaire belge en Égypte donne des réceptions en l'honneur de la souveraine. En guise de présence, on lui donne des livres pour enrichir la bibliothèque de la Fondation égyptologique Reine Élisabeth (qui existe encore aujourd'hui).

Inauguration de l'exposition internationale à Liège par le couple royal, 1930
Le royaume se remet rapidement sur pied sur le plan économique, notamment avec le développement du bassin minier et le port d'Anvers, mais le pays se heurte aux difficultés économiques de ses pays voisins qui ont bien du mal à se remettre de la guerre. Et le krach boursier de 1929 n'arrange en rien les choses, voici le pays lui aussi dans la déroute avec la montée du chômage et la baisse des salaires. La politique s'avère assez instable à cette époque : cinq cabinets se succèdent entre 1929 et 1934, on alterne entre libéraux et catholiques mais personne n'arrive à trouver des accords, de nombreuses querelles stériles s'enlisent sans trouver de vraies solutions. Albert 1e se montre impuissant face aux montées extrémistes européennes, de ses voisins allemands mais aussi en Italie. Sa fille Marie-José a épousé Humbert de Savoie, fils du roi Victor-Emmanuel III d'Italie, et la montée du fascisme le terrifie.


La mort d'un roi légendaire


Albert 1e meurt le 17 février 1934. Il se rend à Marche les Dames, non loin de Namur pour suivre une course cycliste au palais des sport, et périt dans un accident de voiture. Beaucoup ont pensé à un assassinat des services secrets allemands, mais les complotistes voient des assassinats partout. Cinquante-huit ans, cela reste assez jeune et cette mort prématurée, violente, renforce le culte de ce souverain dont la légende s'est construite par sa proximité avec ses soldats et son refus de couler du sang pour rien. Il laisse un royaume uni, bien qu'empêtré dans la crise économique, et a la chance de ne pas voir le monde qu'il connaissait sombrer dans une nouvelle guerre. Ce troisième souverain est sans doute le plus populaire : Léopold 1e imposait le respect, Léopold II était craint, mais Albert 1e de Belgique était aimé et adoré de son peuple. Il ne reste à voir ce que fera le nouveau souverain, Léopold III, mais ceci est un autre chapitre …


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