mercredi 25 octobre 2017

25 octobre 1920 : Mort du roi Alexandre 1e de Grèce par un singe


Le royaume de Grèce a connu de nombreux tourments, et la mort du roi Alexandre 1e n'arrange rien à l'affaire. Surtout quand le roi n'a pas une cote de popularité des plus hautes et une mort assez stupide. Ce décès serait sans doute bien plus amusant à raconter en tant que tel, mais si tragique quand on prend le contexte global, c'est ce que je vais vous raconter aujourd'hui.


Avant de raconter une mort survenue en 1920, je dois remonter aux alentours de … 1830. Promis, ce ne sera pas long. La Grèce était sous le joug de l'Empire Ottoman et après la guerre d'indépendance, l'Europe s'évertue à chercher un candidat pour le trône de Grèce. On pense tout d'abord à Léopold de Saxe-Cobourg, mais celui-ci finit par refuser. Par chance, quelques mois plus tard, c'est le trône de la toute neuve Belgique qu'il acceptera en devenant Léopold 1e de Belgique … C'est finalement Othon de Bavière, de la maison Wittelsbach, âgé de dix-sept ans, qui devient le premier roi de Grèce, une tâche ardue entre désir d'indépendance du peuple, souvenirs de la domination ottomane et une paix instable, il est finalement renversé en 1862 après une révolution. Ça commence bien, et Léopold 1e a du se dire qu'il avait bien fait d'avoir choisi la Belgique.

D'octobre 1862 à fin mars 1863, pas de roi, c'est sympathique. Encore une fois, on recherche un candidat et on va encore plus loin, voici Guillaume du Danemark de la maison Oldenbourg, qui est choisi. Oui vous avez bien lu, un danois devient roi grec ! Cette fois-ci, le titre change, il prend celui de « roi des Hellènes », dans une volonté moins absolutiste que son prédécesseur. Après un règne entre expansion territorial et grosses défaites, Georges 1e de Grèce est assassiné par un anarchiste grec en 1913. C'est son fils, Constantin 1e, qui lui succède. Après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche et de son épouse à Sarajevo, le 28 juin 1914, l'emballement belliqueux bouscule l'Europe. Le kaiser Guillaume II d'Allemagne demande au roi Constantin 1e sa position. Petit point généalogique, Constantin 1e a épousé Sophie de Prusse, la sœur du Kaiser, il est donc son beau-frère, d'où la demande. Le roi des Hellènes refuse d'entrer en guerre, se voulant neutre. Mais son premier ministre, Elefthérios Venizélos, ne le voit pas de cette façon et est persuadé que les deux hommes fondent une alliance secrète, alors il se rapproche des Alliés. Le roi demande à son ministre de démissionner en 1915 mais Constantin 1e est aussi renversé le 10 juin 1917, contraint à l'exil avec sa famille à Zurich, en Suisse.

Le roi Constantin 1e, son épouse Sophie de Prusse et leurs enfants (Bibliothèque du Congrès)
Nous arrivons donc à Alexandre 1e de Grèce. Second fils de Constantin 1e de Grèce et Sophie de Prusse, c'est un enfant malicieux, extraverti, faisant pas mal de bêtises (comme fumer des cigarettes fabriquées avec du papier buvard) et voit du pays dés le plus jeune âge en suivant ses parents en Angleterre, en France ou en Italie. Bien que peu destiné à monter sur le trône, l'héritier étant son frère aîné Georges, Alexandre reçoit une éducation soignée et intègre une académie militaire en Grèce (contrairement à son aîné qui part en Allemagne). Homme à femmes, Alexandre tombe pourtant amoureux d'Aspasia Máros, qu'il courtise jusqu'à plus soif, mais celle-ci se montre réticente. Le prince est bel homme bien sûr, mais elle ne veut pas être un nom sur un tableau de chasse. Pourtant, elle finit par tomber amoureuse du jeune homme et ils se fiancent en secret. La famille de la jeune femme a beau être de bonne lignée, elle est jugée insuffisante aux yeux de la famille royale, qui destine Alexandre à une princesse européenne.

Seul, Alexandre 1e est contraint de faire revenir Elefthérios Venizélos comme Premier Ministre. Le jeune homme ne connaît pas vraiment comment fonctionne le gouvernement d'un royaume, et ce ne sont pas ses ministres, dont certains l'appellent « fils de traître » qui vont l'y aider. De plus, les courriers de sa famille sont interceptés par ses ennemis, Alexandre 1e n'a qu'Aspasia Máros avec lui. Il décide donc de l'épouser en secret le 17 novembre 1919. Si les partisans de Venizélos auraient préféré qu'il épouse Mary du Royaume-Uni, fille du roi George V, le reste de l'Europe approuve cette union car cela permet d’helléniser la dynastie un peu trop germanique à leur goût. Seulement, pour que le mariage soit valide, il aurait fallu que le souverain ait l'aval de son père, du gouvernement et de l’Église orthodoxe … la jeune femme est contrainte de quitter la Grèce, avant de revenir à l'été 1920, autant dire qu'ils n'ont pas profité beaucoup.

Seulement tout s'emballe durant la Première Guerre Mondiale, et l'exil de la famille royale en Suisse. Mais pourquoi Alexandre et non pas Georges en roi ? Parce que le diadoque (c'est à dire l'héritier du trône) est tout aussi germanophile que son père, autant dire que ça ne plaît pas des masses dans ce contexte germanophobe. C'est donc Alexandre qui est désigné, et monte sur le trône sous le nom d'Alexandre 1e, à l'âge de 23 ans. Son sacre se fait sans grande pompe, de façon solennel et le jeune homme prononce ses vœux en larmes. De plus, ni son père ni sont frères n'ont renoncé à la couronne, Alexandre n'est qu'un occupant du trône, à défaut d'être un vrai monarque. Le lendemain, toute la famille royale part, c'est la dernière fois qu'Alexandre les verra …

Alexandre 1e de Grece a Paderma, 1920 (Gallica)
Le souverain s'est établi au palais de Tatoï, à 15 kilomètres au nord d'Athènes. Alors qu'il se promenait dans sa ménagerie, son berger allemand Fritz est attaqué par un singe. Alexandre veut séparer les deux animaux mais le singe le mort à la jambe. La plaie est soignée mais pas cautérisée, et il subit une infection généralisée, une septicémie. En urgence, on appelle une sommité médicale française, avec le professeur Fernand Widal, qui essaie d'enrayer la septicémie et la fièvre mais rien n'y fait. Plusieurs médecins optent pour l'hypothèse de l'amputation mais personne ne met ce plan à exécution. Alexandre 1e souffre atrocement pendant quatre semaines, ses hurlements emplissent le palais et il n'a que son épouse à son chevet. Il se met à délirer, à appeler sa mère mais Elefthérios Venizélos refuse que cette dernière vienne au chevet de son fils. Il n'autorise que sa grand-mère, la reine douairière Olga, a venir. Mais trop tard, Alexandre 1e de Grèce meurt le 25 octobre 1920, à seulement 27 ans. Sa grand-mère arrive douze heures après la mort du jeune homme et sera la seule personne de la famille royale à pouvoir assister à ses funérailles deux jours plus tard.

Messe en l'honneur du roi défun à l'église grecque de la rue George Bizet, Paris (Gallica)
Le problème dynastique survient : Aspasia est enceinte mais n'est pas considérée comme reine des Hellènes, Elefthérios Venizélos espère mettre en place une république mais les élections tournent en sa défaveur et il quitte le pays pour Paris. Le 5 décembre 1920, le plébiscite donne une majorité écrasante au retour de Constantin 1e, qui revient avec toute sa famille. Quelle ironie, Constantin 1e succède à son fils qui lui-même lui avait succédé ! Bon, Constantin 1e sera à nouveau chassé en 1922 … Oh voudriez vous savoir la suite en quelques mots ? En 1922, c'est donc Georges II (le fils aîné) qui monte sur le trône avant d'être chassé un an après pour mettre en place une république jusqu'en 1935. Georges II revient au pouvoir jusqu'en 1947, avant de mourir et laisser sa place à son frère Paul 1e jusqu'en 1964, et c'est son fils Constantin II qui lui succède mais la monarchie est abolie en 1973, car la république est proclamée, et l'est encore de nos jours.

La mort stupide et tragique d'Alexandre 1e aurait pu être vraiment drôle, mais elle est arrivée à un moment de paix fragile, et a plongé la Grèce dans une nouvelle spirale de révoltes et de soulèvements. Ce pauvre jeune homme qui n'a rien demandé, voulait juste rouler des mécaniques et épouser la femme qu'il aime, est devenu un roi-marionnette, tiraillé entre le devoir et ses désirs, avec un gouvernement qui le détestait, un peuple qui l'a oublié une fois enterré, et un père qui lui a toujours dit qu'il n'était pas le vrai monarque. Trois ans et demi de règne, trop peu mais sans doute trop long pour lui, on ne retient qu'une mort idiote à cause d'un singe et de la peur des médecins de couper une jambe royale … 

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