Gabrielle d'Estrées,
favorite et presque reine, avait tout l'avenir devant elle, un destin
flamboyant aux côtés d'Henri IV, son royal amant. Jeune, belle,
bien née, féconde, elle avait tout pour elle et rien ne semblait
arrêter son ascension, ou presque. Mais la vie peut se montrer
cruelle et voici la jeune femme fauchée dans la fleur de l'âge,
jamais elle ne verra ses trente ans, elle ne sera jamais reine. Ne
reste d'elle que son nom et son célèbre tableau où sa sœur lui
touche le bout du sein. Retour sur son dernier jour avant que
l'Histoire ne l'oublie …
Des favorites, il y en a
toujours eu de tout temps. La première connue reste Agnès Sorel,
maîtresse de Charles VII, et une grande partie des rois ont
eu une ou plusieurs maîtresses qu'ils ont érigé au rang de
favorites. Proche de la période, difficile d'oublier Diane de
Poitiers qui a fait battre le cœur d'Henri II au
détriment de son épouse Catherine de Médicis. Henri
IV a toujours été un homme à femmes, le Vert-Galant ne
porte pas son nom parce qu'il l'avait eu en gage un soir de beuverie.
Et le mariage n'a pas arrangé les choses : son épouse
Marguerite de Valois ne trouvait pas grâce à ses yeux. Non
pas qu'elle soit laide, non, Margot était sans doute la plus
jolie fille de France, mais elle lui rappelait les enjeux des guerres de religion et il voyait en elle une intrigante. Qui sait ce qu'il se
serait passé s'il lui avait donné une chance depuis le début …
Depuis 1589 après l'assassinat de son cousin Henri III,
Henri de Navarre devient Henri IV,
premier Bourbon sur le trône, et traîne derrière lui son épouse,
exilée et qui ne lui donne pas d'enfant. Le couple s'accorde qu'il
faut annuler le mariage, chacun avance ses pions et met en avant la
stérilité, la consanguinité et le vice de forme.
Seulement à côté, le
bon roi Henri s'est entiché d'une jeune femme, Gabrielle
d'Estrées. Ah enfin, on en parle, c'est un peu son
article ? Mais qui est-elle et d'où sort-elle ? Fille
d'Antoine d'Estrées, baron de Boulonnois, vicomte de
Soissons, gouverneur de l'Île-de-France et de Françoise Babou de
La Bourdaisière, elle n'est pas née dans un ruisseau mais plus
avec une cuillère en argent. Mais bon, la réputation de la famille
n'était pas reluisante : la grand-mère de Gabrielle
se vantait de s'être glissée dans le lit du pape Clément VII,
sa mère abandonna mari et enfants pour son amant avant d'être
assassinée. Son père avait décidé d'éloigner ses enfants de la
Cour, Gabrielle et le reste de sa
fratrie, dont sa sœur Diane, grandirent donc au sein du château de
Coeuvres. Gabrielle était une belle jeune fille « blonde,
dorée, d’une taille admirable, d’un teint d’une blancheur
éclatante » selon Mademoiselle de Guise, et même au
cœur de la Picardie, difficile de ne pas la voir. Un homme la
remarqua : Roger de Saint-Lary, comte de Bellegarde et
Grand Ecuyer de France, ancien mignon d'Henri III, il était
plutôt beau gosse et leur rencontre fut presque une évidence entre
ces deux gravures de mode de l'époque. En 1590, la belle
avait dix-sept ans, lui dix de plus et chacun s'éprit de l'autre
avec passion. Le couple pensa même à se marier !
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Gabrielle d'Estrées par Zéphirin Belliard et Daniel Dumonstier, 19e siècle (Château de Pau) |
Pourquoi le destin s'en
est-il mêler ? La vantardise bien sûr ! Bellegarde
était fier de sa belle qu'il gardait pourtant cacher, mais se confia
au roi Henri IV
qu'il avait sans doute la plus belle femme du royaume.
Curieux, le roi Henri
voulut voir qui était celle qui tournait la tête à son Grand
Écuyer et voulut la rencontrer à Compiègne. Ah oui, à ce moment
là, on était en plein siège de Paris, Henri
IV essayer de reconquérir la capitale, mais non, là il
allait voir à quoi ressemblait la maîtresse de son pote, normal.
Surtout qu'il tomba immédiatement amoureux de la belle Gabrielle
d'Estrées. Et comme il était le roi et avait autorité
sur tout, il demanda à Roger de Bellegarde de se retirer pour
lui laisser le champ libre. Seulement, il y avait un obstacle :
Gabrielle ne voulait pas du roi !
Elle aimait son Roger, voulait l'épouser et ne pas être une
maîtresse de plus pour ce roi insatiable des plaisirs charnels,
beaucoup plus vieux qu'elle et qui puait. Puisque la drague de
lourdingue et les assauts répétés ne marchaient pas, Henri
IV utilisa une autre technique : la vénalité
familiale. Au père et à la tante de Gabrielle,
il leur montra les avantages d'avoir une maîtresse royale dans leur
famille. Et en février 1591, Gabrielle
d'Estrées accepta sous la pression parentale.
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Détail du portrait d'Henri IV, roi de France et de Navarre par Guillaume Heaulme 1610 (Château de Pau) |
Vous allez me dire que
cette histoire d'amour n'en est pas une, et au début, c'est vrai.
D'ailleurs, il la maria et la fit divorcer dans la foulée pour
qu'elle soit une femme libre et lui appartienne, qu'elle vienne le
voir sur les champs de bataille … Il fallut du temps pour que
Gabrielle s'attache à son
amant, pas avant 1593 ! Là, elle le voit sous un nouveau
jour, et espérait une nouvelle chose : devenir reine. Et pour
cela, il fallait déjà se montrer féconde. Ca tombe bien, elle mit
au monde trois enfants, dont deux fils, entre 1594 et 1598. La
nouvelle favorite menait la grande vie grâce à tous les cadeaux de
son sugar daddy : propriétés, titres (elle devient duchesse de
Beaufort), bijoux, piécettes trébuchantes … Seulement, à part
son amant, pas grand monde ne l'aimait et surtout pas le peuple qui
la détestait, faisait courir des pamphlets sur elle.
Mais Henri
IV n'en avait cure, et il avait un projet en tête :
épouser sa concubine. On en a parlé plusieurs fois, le bonheur et
l'amour n'entrent pas en compte dans un mariage d'aussi grande
importance, on cherche à s'allier, à faire des pactes politiques et
à faire des dynasties. Parfois, le couple s'entend bien, voire
s'aime, et d'autres fois, non. Mais Henri IV
ne pouvait pas oublier que Gabrielle
d'Estrées lui a donné trois enfants et qu'il l'aime
passionnément depuis toutes ces années. Pourtant, pour obtenir le
consentement de l'annulation par le Pape et son épouse Marguerite,
il fallait se montrer rusé, mais tout le monde n'était pas dupe
« Le roi de France feint de vouloir épouser Marie de
Médicis pour obtenir l'annulation de son mariage, mais dès qu'il
l'aura obtenue, il épousera Gabrielle ». Scandale à
la cour le 23 février 1599, Henri
ôta l'anneau sacré de son couronnement pour la mettre au doigt de
Gabrielle ! Un jour de
Mardi-Gras en plus ! Et en plus, il dit solennellement son
intention d'épouser sa maîtresse le premier dimanche après Pâques.
Gabrielle, enceinte, jubilait de cette réussite envers et contre
tous.
Mais vous avez vu la date
dans le titre, vous savez que ça ne s'est pas fait. La « presque
reine » avait tout préparé pour l’événement, de sa robe
de mariage aux tentures pour ses appartements au Louvre.
Si le roi Henri
voulait épouser sa maîtresse, la reine Marguerite faisait
pression sur ce dernier : s'il continuait de vouloir se marier
avec sa « putain », elle ne signerait rien. Gabrielle
se montrait nerveuse, fatiguée d'avoir tant lutté conjuguée à
cette grossesse. A l'annonce de Pâques, le confesseur du roi lui
proposa de se séparer de sa concubine juste quelques jours, et leurs
adieux furent déchirants « comme si tous les deux
avaient eu le pressentiment qu'ils ne se reverraient plus ».
Et ce fut le cas malheureusement.
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Adieux d'Henri IV à Gabrielle d'Estrées, 18e siècle (Château de Fontainebleau) |
Ce 6 avril 1599,
elle dîna chez le financier Sébastien Zamet et prend un
cedrat qui lui reste un peu sur l'estomac. Le lendemain, elle se sent
mal, a chaud, puis est prise de convulsions avant de s'évanouir. Et
pour Gabrielle d'Estrées,
ce ne sera que douleurs à partir de ce jour, des convulsions
atroces, et les médecins décidèrent de la faire accoucher, mais
l'enfant est déjà mort. Tordue de douleurs, elle fit envoyer un
billet à Henri IV pour qu'il la
rejoigne puis progressivement la douleur empira : descente
d'organes, perte de la parole, de la vue, de l'ouïe et sombra dans
l'agonie avant de s'éteindre le 10 avril 1599 au petit matin.
Si aujourd'hui, on est pratiquement sûr qu'elle fut victime
d'éclampsie, on ne peut pas s'empêche de penser au poison, surtout
que le financier Zamet était un proche des Médicis, réputé
avoir le poison facile … Henri IV
est dévasté par la mort de celle qu'il aimait et il écrit «
Mon affliction est aussi incomparable que l'était le sujet qui me la
donne. Les regrets et les plaintes m'accompagneront jusqu'au tombeau.
La racine de mon cœur est morte et ne rejettera plus... »
et fit organiser des funérailles royales pour sa « presque
reine » et il porta le deuil en noir, ce qui est normalement
interdit aux rois de France.
Gabrielle
d'Estrées avait vingt six ans, sa jeunesse et un destin
radieux devant elle, du moins le croyait-elle, et l'Histoire put
retrouver un cycle plus classique. Henri IV accepta le mariage
avec Marie de Médicis pour former la lignée des Bourbons que
l'on connaît ...
J’adore, très bel article
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