jeudi 25 août 2016

Histoire de la Belgique (5) : Vive la Belgique libre !



On commence par bien connaître les territoires belges. On a parcouru l'Antiquité avec la domination romaine et des germains, le Moyen Âge tumultueux et bourguignons, l'époque moderne avec la puissance de la famille Habsbourg, et je vous ai laissé la dernière fois où les territoires belges agrandissait le royaume de Hollande. Nous nous sommes arrêtés donc dans cette première moitié du 19e siècle où après s'être révolté, la Belgique avait passé son temps sous la coupe française, puis celle hollandaise avec un souverain, Guillaume Ie, despote éclairé et favorisait ses terres aux belges, les laissant de côté et, pire encore, spoliait leurs acquis. Le français, langue officielle belge, devait disparaître au profit du néerlandais. On notait aussi une parité absente dans les administrations, et surtout, les territoires belges en avaient assez d'être gouvernés par d'autres sans qu'on leur demande leur avis. Et en général, quand les gens ne sont pas contents, cela finit toujours de la même façon … par une révolution.


Depuis le Congrès de Vienne de 1815 où les grandes puissances se sont partagées l'Europe, les territoires belges appartiennent à la Hollande, reformant les Pays Bas espagnols de Charles Quint. Outre la différence de religions (rappelez vous que les territoires se sont séparés car le Nord était protestant et le Sud catholique en majorité), il s'agit surtout d'une affaire d'injustice, surtout sur la question financière : les territoires belges n'avaient une dette que de 100 millions de florins, contrairement à la Hollande, qui s'élevait à 1,25 milliards. Les deux dettes fusionnèrent et les belges durent payer les dettes de son envahisseur … Si on rajoute le baisse des chiffres d'affaires des commerçants belges, la non-liberté de la presse, un grondement retentissait et se faisait de plus en plus entendre.

Belgique révolutionnaire : vers une Belgique indépendante

Comme lors de la révolution brabançonne de 1789, deux clans s'opposaient : d'un côté les libéraux, principalement jeunes et sous influence des libéraux français, anticléricaux pour certains, et surtout contre l'absolutisme de Guillaume 1e. De l'autre, un clan clérical ne supporte pas d'être écarté de l'éducation, certains voulaient même la séparation de l’Église et de l’État pour une plus grande liberté d'action. Il fallut plusieurs années pour que ces deux clans bien différents arrivent enfin à s'unir, on appelle ça l'unionisme. A partir de 1828, ils essaient de se faire entendre à la Chambre et envoient de nombreuses pétitions pour la liberté de la presse, de l'enseignement, des langues, de la religion mais aussi une égalité entre les belges et hollandais. Personne ne prend vraiment cela pour une menace, d'ailleurs le souverain accepte de lâcher du lest, certain que cela suffira. Pas du tout, les troubles redoublent et le roi décide de sévir. Il contrait les opposants au régime à prendre le chemin de l'exil ou la prison, comme les libéral Louis de Potter condamné à 18 mois de détention pour ses articles contre le gouvernement. D'un autre côté, le roi nomme son fils Guillaume d'Orange président du Conseil des Ministres, bien déterminé à que rien ne soit remis en cause.

Tout aurait pu rester relativement calme jusqu'à la révolution de 1830 en France. Ce qu'on nomme les Trois Glorieuses, du 27 au 29 juillet 1830, est la courte période où les contestataires voulaient juste la démission d'un ministre et s'est terminé en insurrection avec la volonté de faire tomber la monarchie. Point de république, mais un nouveau roi monte sur le trône : Louis-Philippe Ie, roi des français. Comme en 1789, la France ouvre les portes à leur voisin belge et dés ce mois de juillet, des troubles éclatent, notamment devant l'Opéra de Bruxelles. Il faut dire qu'on y joue La Muette de Portici, racontant la révolte des napolitains sur les espagnols au 17e siècle. Et avec des paroles comme :

Amour sacré de la patrie
Rends nous l'audace et la fierté
A mon pays tu dois la vie
Il me devra la liberté.

Autant dire que cela inspire plus d'un à se soulever ! Devant de telles folies autour d'un opéra, le gouvernement interdit les représentations, renforce les garnisons dans la ville. Puis finalement, l'opéra peut être à nouveau représenté le 25 août, qui est aussi le jour où Guillaume Ie fête son anniversaire. On peut pas dire qu'il ne l'oubliera pas celui-là … La représentation met le feu aux poudres et les insurgés s'attaquent à tous les symboles royalistes hollandais, pillent une armurerie et … un magasin de jouets pour voler des tambours ! Pillages, violences, dégradations, et on souhaite bon anniversaire au roi, à la belge ! La masse d'insurgés grandit au fil des heures, et les garnisons, prises de court, ne sont pas assez nombreuses, et n'arrivent pas à poursuivre les révoltés dans les rues sinueuses du centre ville médiéval de Bruxelles. Au milieu de tout cela, on brandit des drapeaux français et on chante La Marseillaise, avant que le premier drapeau belge ne soit crée : trois bandes horizontales jaune, noir et rouge. Plusieurs villes se soulèvent, notamment à Liège, sous la personne de Charles Rogier avant de marcher sur la capitale belge.

 Episode des Journées de septembre 1830 sur la Place de l'Hôtel de Ville de Bruxelles, par le baron Gustaf Wappers, 1835
(Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique)
Autant dire, que le roi ne se lève pas faire et envoie 6.000 hommes taper sur la gueule des insurgés, sous le commandement du prince d'Orange. Le 31 août, ce dernier négocie avec des délégations, et les menace : s'ils n'abandonnent pas, il marche le lendemain sur Bruxelles. Sympathique d'annoncer son plan, car durant la nuit, des barricades sont élevées dans toute la ville ! Finalement, l'armée entre dans la ville le 23 septembre, et c'est un bain de sang. Ce qu'on appelle les « journées de septembre » ressemblent à s'y méprendre à celles de la France, meurtrières et violentes. Mais l'armée comprend qu'elle ne peut arriver de venir à bout de ce peuple déchaîné. Tout comme en France, Guillaume Ie propose des mesures demandées mais trop tard. On crée un gouvernement provisoire le 4 octobre et est proclamé l'indépendance de la Belgique. Le gouvernement est bien plus hétéroclite que durant la révolution de 1789 : le révolutionnaire Charles Rogier, un artisocrate conservateur Félix de Mérode ou encore le républicain Louis de Potter.

Alors, c'est bien d'avoir gagné, mais que fait-on maintenant ? L’Europe entière à les yeux rivés sur ce petit territoire qui s'est rebellé contre les décisions du Congrès de Vienne de 1815. Le spectre de la République fait peur, mais l'Europe reconnaît le 20 janvier 1831 la victoire des insurgés belges, même si la Belgique perd quelques territoires : une partie du Limbourg et le Grand-Duché du Luxembourg, réclamé par le grand perdant Guillaume Ie. Le 26 juin 1831 est promulgué le traité des XVIIIe articles qui fixe les frontières de la Belgique et leur neutralité. Reste à savoir quelle forme par prendre ce nouveau territoire, et qui pour le gouverner. Mais qui pour gouverner ce petit pays instable ? On chercha au départ dans les familles patriciennes mais les puissances européennes préfèrent un prince étranger. On parle du duc de Reichstadt, fils de Napoléon Ie, du duc de Nemours fils de Louis-Philippe Ie. L’Angleterre propose son candidat idéal : Léopold de Saxe-Cobourg.

Portrait Léopold Ie de Belgique, par Franz Xaver Winterhalter
Qui est ce monsieur ? Léopold est issu de la famille Saxe-Cobourg-Saalfeld, petit état allemand comme il y en a des centaines dans le Saint-Empire Romain Germanique. Né en 1790 à Cobourg, il naît dans une bonne famille avide d'ambition. Et on le sait, la fortune passe souvent par les mariages. Ca tombe bien, Catherine II de Russie cherchait à marier son petit-fils Constantin et fit venir la mère de Léopold et ses trois filles pour qu'une l'épouse. Ce sera Julienne, et cette union en 1796 eut un effet bénéfique pour la famille avec le rapprochement avec la Russie. Le jeune Léopold n'a que 5 ans quand il est nommé colonel et devient général à 12 ans. Mieux encore, une autre de ses sœurs, Antoinette, épouse Alexandre de Wurtemberg, beau-frère du tsar Paul Ie. Traumatisé par l'occupation des troupes de Bonaparte, Léopold se forge déjà son caractère, puis est envoyé par sa mère à Paris pour négocier avec l'empereur. Il a 16 ans quand il découvre Paris en 1806 et de ses plaisirs. S'il ne retient qu'une humiliation de la part de l'empereur, il se souvient du très bon accueil de l'impératrice Joséphine et sa fille Hortense. D'ailleurs, c'est lui qui favorisera la rencontre entre ces deux femmes et le tsar Alexandre Ie. Puis il part pour l'Angleterre et découvre le fonctionnement de la monarchie parlementaire. Drôle de concept pour un homme né avant les tempêtes révolutionnaires et l'ancien régime. Il fit un mariage d'amour avec la princesse Charlotte de Galles, héritière du trône de Grande-Bretagne. Mais son tragique décès après un accouchement de 42 heures laisse Léopold sans amour mais aussi sans couronne. Il joue à son tour les marieurs avec un coup de maître : sa sœur Victoire épouse le duc de Kent, 4e fils du roi George III et elle met au monde la future reine Victoria, dont Léopold s'occupe un temps comme un mentor. Après la couronne de Grande-Bretagne, Léopold espère la couronne grecque mais celle-ci lui échappe encore. Triste sort ? Peut être, mais cet homme fort de 40 ans, qui a appris de ses échecs, est un parfait candidat et cette fois, elle ne lui passe pas sous le nez.

Belgique monarchique : petit royaume mais costaud

Pour prêter serment devant son nouveau peuple, le presque nouveau roi arrive par le petit port de La Panne et voit au fil des villages et villes un grand élan populaire à son égard. Lorsqu'il arrive à Bruxelles, c'est la grande liesse populaire ! Le 21 juillet 1831, le désormais Léopold Ie prête serment, devenu aujourd'hui la fête nationale de la Belgique. D'ailleurs Léopold devient « roi des Belges » et non « de Belgique », subtil mais cela montre que le pouvoir royal émane d'abord du peuple. La Constitution belge de 1831 répond aux attentes du peuple belge : liberté et égalité pour tous devant la loi, la liberté individuelle, la liberté de la presse, des cultes et des opinions, ainsi que celles des langues. Enfin, la Belgique se gouverne par elle-même avec des siècles de domination. Si l'Europe se satisfait de ce nouveau roi et de cette Constitution, un grogne toujours : les Pays Bas refuse toujours l'indépendance de son territoire, et ce, jusqu'en 1839 !

Prestation de serment du roi Léopold Ie, par Egide Wappers
Maintenant qu'ils ont un roi, les belges se cherchent des symboles. Le premier drapeau rappelle trop la Hollande avec les bandes horizontales, et il faut aussi organiser les couleurs. Ce sera donc trois bandes verticales (comme la France) noire, jaune et rouge. Quant à l'hymne, après avoir un temps chanté La Marseillaise, il en faut un propre, et c'est un français et un compositeur belge, Jenneval et Fançois Van Campenhout, qui composent La Bruxelloise, devenue La Brabançonne. Si celle-ci existe depuis 1831, la musique n'est fixée qu'en 1873 et le texte en 1938 ! L'emblème national devient le lion du Brabant avec comme devise « L'union fait la force ».

Un petit souci : le nouveau est roi est protestant. D'accord, il y a la liberté de culte mais ça fait un peu tâche. Léopold Ie n'a pas envie de se convertir mais fait cette promesse : il épousera une catholique et les enfants seront élevés dans la foi de son épouse. Seulement voilà, qui épouser ? Le souverain le sait, il faut toujours se tourner vers ses alliés. Pas la Russie orthodoxe ni la Grande-Bretagne anglicane, c'est en France qu'il choisit une princesse catholique : Louise-Marie d'Orléans, la fille aînée du roi Louis-Philippe Ie.

La jeune princesse a 20 ans, c'est une jeune fille brune, frêle, plutôt jolie et d'une grande timidité. Elle n'a pas envie de se marier, bien dans son cocon familial, et pour avoir déjà rencontré son futur mari dans son enfance, garde l'image d'un homme austère et morose. Pourtant, elle fait « un sacrifice de raison, un sacrifice pour l'avenir très pénible » comme elle le dit elle-même. Ses parents ne veulent pas la pousser mais la jeune femme accepte. Le mariage est célébré le 9 août 1832 au château deCompiègne, selon le rite luthérien et catholique. La jeune femme pleure toutes les larmes de son corps durant la cérémonie. Pourtant, le mariage s'avérera relativement heureux dans les premières années, Léopold se montrant tendre envers son épouse. Désormais reine des Belges, Louise est enceinte l'année suivante mais il décède avant d'atteindre sa première année. Fort heureusement, trois enfants suivront : l'héritier Léopold, Philippe titré comte de Flandre et la princesse Charlotte.

 Mariage de Léopold Ier, roi des Belges, et de Louise d'Orléans
Durant son règne de trente quatre années, Léopold Ie a voulu renforcer la place de la Belgique, et de sa famille, sur la scène internationale. Il écarte les républicains et radicaux du pouvoir, il réussit à éviter une révolution en 1848, contrairement à la France, évite d'entrer dans les conflits entre la Prusse et l'empire d'Autriche-Hongrie et met le pays à la page. En 1850, le roi pose la première pierre d'une colonne pour commémorer le Congrès National de 1830. Côté familial, il impose toujours la politique matrimoniale : son neveu Albert épouse la reine Victoria (son autre nièce) ; son autre neveu Ferdinand épouse la reine Marie II du Portugal ; l'héritier Léopold (futur Léopold II) épouse Marie-Henriette de Habsbourg, petite fille d'empereur, un excellent mariage politique mais mauvais mariage sentimental … ; le second, Philippe se marie à une princesse allemande Marie de Hohenzollern ; Charlotte, quant à elle, épouse le frère de l'empereur d'Autriche, Maximilien de Habsbourg, elle deviendra l'éphémère impératrice du Mexique avant de sombrer dans la folie.



Le 10 décembre 1865, le premier roi des Belges rend son dernier souffle, quinze année après son épouse la reine Louise. Les obsèques sont grandioses et on y voit de grands élans patriotiques : les belges pleurent leur souverain. S'il voulait être enterré en Angleterre auprès de sa première épouse, Léopold Ie rejoint la seconde dans la crypte royale de Laeken, construite peu après le décès de la reine Louise. Le service funèbre se fait à l'extérieur sous une tente pour le rite luthérien et devient ensuite le cœur de la crypte royale.

Je finis l'article sur un hommage de Charles Beaudelaire au premier roi des Belges :

Léopold voulait sur la Mort
Gagner sa première victoire
Il n'a pas été le plus fort ;
Mais dans l'impartiale histoire,
Sa résistance méritoire
Lui vaudra ce nom fulgurant :

« Le cadavre récalcitrant ».

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