Athénaïs de
Montespan a été l'étoile du règne de Louis XIV, sa position à la
Cour et son caractère ont aidé ce grand roi a éclaté davantage, à
briller plus que de raison. Tant de fastes, de luxe pour la grande
favorite royale ! Autant dire que sa mort dans une abbaye loin
de la Cour est bien triste par rapport à son destin. Mais il paraît
qu'après avoir touché le Soleil, on ne peut que retomber.
Aujourd'hui, je vais vous parler de Madame de Montespan, en
particulier sa chute et sa mort, sans éclat et sans faste …
L'ancienne grande
favorite est morte, et à la Cour … tout le monde s'en fout !
Mais royal, hein ! Entre ceux qui sont déjà morts, qui l'ont
oubliée ou ceux qui ne la connaissent pas car trop jeunes, on ne
peut pas dire que le décès de Madame de
Montespan ait fait pleurer les chaumières, enfin les
appartements du château. Voilà presque trente ans que le roi Louis
XIV l'a délaissée, au profit de la jeune Mademoiselle de
Fontanges puis pour Madame de Maintenon, et presque vingt
ans qu'elle a quitté la Cour pour Paris. Déjà qu'on oublie les
modes d'une saison à l'autre, alors une personne absente depuis
vingt ans ! Bien trop compliqué pour les gens de la Cour,
préférant l'intrigue de l'instant et le besoin continuel d'exister
auprès du roi, que de penser au passé et à cette favorite si
lointaine à leurs yeux.
Pourtant, qu'aurait été
le règne de Louis XIV sans Madame
de Montespan ? Bien sûr,
le roi rêvait de grandeur, notamment avec la construction du Château
de Versailles et ce culte de la personnalité qu'il a entretenu en se
mettant en scène jour après jour, mais il avait à ses côtés sa
favorite pour le pousser, pour voir plus de luxe, de fastes, de
grandeur. On n'est bien loin des amours fleur bleue de Mademoiselle
de La Vallière ou la régularité des mœurs de
Madame de Maintenon.
Athénaïs de Montespan a
insufflé à la Cour de France un vent de scandale et de force, mais
d'où sort cette favorite, et pourquoi l'oublie t'on à sa mort ?
Athénaïs
de Montespan, née Françoise
de Rochechouart de Mortemart,
ne naît pas derrière un fagot de paille pour bosser dans les
champs. Les Rochechouart de Mortemart sont une vieille famille
française datant de l'époque des Capétiens. D'ailleurs, elle
aimera rappeler à son royal amant son arbre généalogique si
passionnant. Si elle prend le nom d'Athénaïs,
c'est tout simplement pour surfer sur la préciosité, courant en
vogue au début des années 1660. Elle a tout pour elle : belle
comme tout, et Primi Visconti la décrit parfaitement « Elle
avait les cheveux blonds, de grands yeux bleus couleur azur, le nez
aquilin mais bien formé, la bouche petite et vermeille, de très
belles dents, en un mot un visage parfait. Pour le corps, elle était
de taille moyenne et bien proportionnée. » Alors
petit passage coup de gueule après cette description : il faut
arrêter de la mettre brune dans les adaptations. Brune = méchante
est un gros raccourci et pas raccord avec son physique ! Voilà,
nous pouvons reprendre. Mais elle n'avait qu'un physique, aussi
beaucoup d'intelligence, une éducation soignée et surtout, cet
« esprit Mortemart » avec une vivacité d'esprit
et de répartie. Cela ne suffit pas toujours pour faire un beau
mariage. Pourtant, Athénaïs a
choisi son époux, il s'agit d'un mariage d'inclination, d'amour en
somme ! Le bienheureux se nomme Louis-Henri de Pardaillan de
Gondrin, marquis de Montespan. Un bel arbre généalogique pour
un homme en apparence adorable mais sombrera malheureusement dans la
violence et la jalousie. Fort heureusement, la jeune épouse avait pu
devenir une des six dames de compagnie de la reine Marie-Thérèse
d'Autriche, grâce à son ami Philippe d'Orléans, dit
Monsieur. L'occasion pour elle de parer à la Cour et de montrer ses
talents. « Il n'était pas possible d'avoir plus
d'esprit, de fine politesse des expressions singulières, une
éloquence, une justesse naturelle qui lui formait comme un langage
particulier, mais qui était délicieux » et quand
Saint Simon fait un compliment sur quelqu'un, lui qui n'aime
personne, il faut bien remarquer la justesse !
![]() |
François-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, par Charles Beaubrun, 1660 (Château de Versailles) |
Jeune femme piquante,
elle était la reine du trait d'esprit, presque assassin pour sa
cible, même si elle balayait sa méchanceté d'un éclat de rire, et
cela n'a pas échappé à Louis XIV. A cette époque, il a
pour favorite Louise de la Vallière, jeune ingénue en pente
descendante assez douce, elle cherche à retenir le roi près d'elle
et trouve une stratégie : devenir amie avec Athénaïs
de Montespan, pour que le roi viennent la voir. Mais très
vite, il ne voit plus que par Athénaïs,
et malgré la flatterie, elle ne se voit pas favorite. Après tout,
elle a un mari, peu importe son caractère, et il s'agit d'une femme
bien élevée dans la foi et la piété. Hors de question de tromper
son époux, pas même avec le roi. Le Pape peut être, qui sait …
Et pourtant, on peut être une femme pieuse et aimer plaire, après
tout elle avait aussi fréquenter les Précieuses. Tout bascula en
juin 1667, en pleine Guerre de Dévolution, Louis XIV
fit venir sa femme, et donc ses dames de compagnie. Maintenant
qu'Athénaïs avait un pied dans
le lit du roi, il valait mieux le conserver. Un peu de passion et
donc beaucoup d'ambition.
On ne va pas s'éterniser
sur le règne de la favorite d'une douzaine d'années. Avec son
ascendant sur le roi, cette époque marque l'avènement de fêtes, de
divertissements superbes. Comment oublier le Grand Divertissement
Royal de 1668.
Dans le parcours dans les jardins non terminés de Versailles on peut
se prendre une collation au bosquet de l'Étoile, voir Georges
Dandin ou le mari confondu, la comédie-ballet de Molière
et Lully, manger un festin, danser au bal et voir un feu
d'artifice ! Il y a aussi les six journées de fêtes entre le 4
juillet et le 31 août 1674. Tout cela va dans une période faste
pour Louis XIV, avec sa victoire durant la Guerre de Hollande
et sa supériorité sur l'Europe.
Alors pourquoi ?
Pourquoi ce règne si glorieux s'est fini ? La « reine
sultane » comme on appelait Madame
de Montespan a fini par tomber de son piédestal.
Doucement au premier abord. Tout comme pour La Vallière
(retirée au Carmel et elle aussi oubliée de tous), le roi se lasse.
Il vieillit et aimerait bien un peu de stabilité, loin du scandale
et de l'énergie trop remuante de sa favorite. Puis, si Athénaïs
a de l'esprit, elle n'a plus le physique. Il faut dire qu'elle a vécu
neuf grossesses, dont sept royales, et son embonpoint se transforme
en obésité. Mais surtout, l'affaire des Poisons a éclaboussé la
favorite et a définitivement terni son image auprès du roi. On va
résumer car c'est très compliqué : à Paris, on aime bien
utiliser des filtres. De guérison ou d'amour, pour gagner de
l'esprit ou une érection, tout est bon pour prendre quelque chose.
Puis parfois, on bascule dans les poisons pour tuer un mari gênant,
un parent avec un héritage, ou même juste pour s'amuser. Au bout
d'un moment, ça a fini par se voir, et très vite, des noms ont
circulé. Deux grandes empoisonneuses sont tuées : la
marquise de Brinvillers est décapitée (le privilège de la
noblesse), et La Voisin est brûlée en place de Grève.
Pour l'instant, on ne soupçonne pas Madame
de Montespan. Mais la fille de La Voisin donne son nom, et
tout le monde se met à faire de même. Là vous avez cette image,
comme dans Angélique et le Roi, de la Montespan,
nue, un bébé sur le ventre, des gens masqués psalmodiant du latin
et le bébé tué pour garantir l'amour du roi (d'ailleurs dans
cette version, la Montespan est blonde !). On ne saura
jamais ce qu'a fait vraiment la favorite du roi, Louis XIV
ayant tout brûlé à ce sujet, mais aujourd'hui la plupart des
historiens s'accordent à dire qu'elle aurait sans doute acheter des
filtres d'amour.
![]() |
Athénaïs de Montespan représentée en Iris, env.1670 (Château de Versailles) |
En 1683, Athénaïs
n'est plus la favorite mais reste à Versailles. Adieu les
magnifiques appartements du premier étage, près de ceux du roi,
pour les appartements des bains au rez-de-chaussée. « Elle
se rongeait les doigts mais mais ne pouvait se décider à abandonner
la partie. » Bien sûr, le roi allait toujours la voir,
entre la messe et le dîner, et rien de bien assidu face à la
nouvelle favorite, Françoise Scarron, devenue Madame de
Maintenon. Tellement favorite qu'elle devient sa femme en secret quelques mois seulement après la mort de la reine Marie-Thérèse
en 1683. Puis en 1691, elle quitta enfin la Cour, mais y
revenait parfois, comme dit Madame de Caylus (d'accord, la
nièce de la Maintenon n'est pas le témoignage le plus neutre)
« comme les âmes en peine qui reviennent expier leurs
fautes dans les lieux qu'elles ont habités. » Elle
s'établit rue Saint Dominique, dans un logement luxueux, tendu de
toile jaune à rayures feu. Après quelques années à mener grand
train de vie, la peur de la mort et de ses pêchés lui reviennent en
pleine face. Sa table devient frugale, elle jeûne et prie pour
expier ses fautes. En 1707, elle partit prendre les eaux à
Bourbon, après avoir fait du tri dans ses papiers, mis de l'ordre
dans ses affaires. Mais le 22 mai, elle fut prise d'évanouissements.
Comme le médecin n'arrivait pas, ses amies tentèrent de la soigner
et lui donnèrent des vomitifs, environ trois fois la dose
recommandée. Déjà que la médecine de l'époque n'était pas
fiable … Elle fut déclarée perdue, reçut les derniers sacrements
et passa ses derniers jours à préparer sa mort. Son fils,
Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin (deviendra le 1e duc
d'Antin en 1711) est venu la voir la veille de sa mort et raconte :
« Arrivé à Bourbon la veille de son dernier jour, je
fus le triste témoin de la mort la plus ferme et la plus chrétienne
que l'on puisse voir. » Pour quelqu'un qui ne la
portait pas dans son cœur, le voici bien aimable. Elle mourut le 27
mai 1707 sur les coups de trois heures du matin. Aucune
oraison funèbre ne fut prononcée à Versailles bien sûr. Quant au
corps de la défunte, son fils était parti sans donner de consigne.
Athénaïs avait des instructions
claires : embaumement de son cœur et ses entrailles, remettre
le premier au couvent de La Flèche, les secondes au prieuré de
Saint-Menoux, et son corps à Saint-Germain. Malheureusement,
personne n'était là pour faire respecter ses dernières volontés.
Pire encore, les deux curés du coin se disputèrent le cercueil
devant l'église, on le posa à terre le temps de régler l'affaire
et elle fut déposée provisoirement dans le reposoir. Ce n'est qu'en
juillet que son fils se décida enfin ! Bien sûr, il ne réalisa
pas le vœu de sa mère et son corps fut transporté à l'église des
Cordeliers où reposent sa mère et sa sœur.
J'ai menti un peu. Contre
toute attente, quelques personnes ont pleuré la mort de Madame
de Montespan. Pas le roi bien sûr, ni même aucun de ses
enfants. Son fils survivant, le duc d'Antin, a fait casser son
testament et l'aurait bien jeté à la fosse commune. Le duc du Maine
aurait été soulagé d'apprendre le décès de sa mère. Ses filles,
et son fils le comte de Toulouse, la pleurèrent mais le roi
leur interdisant de porter le deuil, elles renoncèrent aux parures
et à la danse durant un mois. Mais contre toute attente, Madame
de Maintenon la pleure aussi, sans doute par souvenir. En
apprenant la nouvelle, elle sa cacha dans sa chaise percée, à
défaut d'endroit plus intime. « Il est vrai que j'y fus
fort sensible car cette personne-là n'a pu m'être indifférente en
aucun moment de ma vie. » Triste fin pour une femme si
forte et a marqué son empreinte du Grand Siècle et de Louis le
Grand …
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