samedi 26 mai 2018

27 mai 1707 : Mort de Madame de Montespan



Athénaïs de Montespan a été l'étoile du règne de Louis XIV, sa position à la Cour et son caractère ont aidé ce grand roi a éclaté davantage, à briller plus que de raison. Tant de fastes, de luxe pour la grande favorite royale ! Autant dire que sa mort dans une abbaye loin de la Cour est bien triste par rapport à son destin. Mais il paraît qu'après avoir touché le Soleil, on ne peut que retomber. Aujourd'hui, je vais vous parler de Madame de Montespan, en particulier sa chute et sa mort, sans éclat et sans faste …


L'ancienne grande favorite est morte, et à la Cour … tout le monde s'en fout ! Mais royal, hein ! Entre ceux qui sont déjà morts, qui l'ont oubliée ou ceux qui ne la connaissent pas car trop jeunes, on ne peut pas dire que le décès de Madame de Montespan ait fait pleurer les chaumières, enfin les appartements du château. Voilà presque trente ans que le roi Louis XIV l'a délaissée, au profit de la jeune Mademoiselle de Fontanges puis pour Madame de Maintenon, et presque vingt ans qu'elle a quitté la Cour pour Paris. Déjà qu'on oublie les modes d'une saison à l'autre, alors une personne absente depuis vingt ans ! Bien trop compliqué pour les gens de la Cour, préférant l'intrigue de l'instant et le besoin continuel d'exister auprès du roi, que de penser au passé et à cette favorite si lointaine à leurs yeux.

Pourtant, qu'aurait été le règne de Louis XIV sans Madame de Montespan ? Bien sûr, le roi rêvait de grandeur, notamment avec la construction du Château de Versailles et ce culte de la personnalité qu'il a entretenu en se mettant en scène jour après jour, mais il avait à ses côtés sa favorite pour le pousser, pour voir plus de luxe, de fastes, de grandeur. On n'est bien loin des amours fleur bleue de Mademoiselle de La Vallière ou la régularité des mœurs de Madame de Maintenon. Athénaïs de Montespan a insufflé à la Cour de France un vent de scandale et de force, mais d'où sort cette favorite, et pourquoi l'oublie t'on à sa mort ?

Athénaïs de Montespan, née Françoise de Rochechouart de Mortemart, ne naît pas derrière un fagot de paille pour bosser dans les champs. Les Rochechouart de Mortemart sont une vieille famille française datant de l'époque des Capétiens. D'ailleurs, elle aimera rappeler à son royal amant son arbre généalogique si passionnant. Si elle prend le nom d'Athénaïs, c'est tout simplement pour surfer sur la préciosité, courant en vogue au début des années 1660. Elle a tout pour elle : belle comme tout, et Primi Visconti la décrit parfaitement « Elle avait les cheveux blonds, de grands yeux bleus couleur azur, le nez aquilin mais bien formé, la bouche petite et vermeille, de très belles dents, en un mot un visage parfait. Pour le corps, elle était de taille moyenne et bien proportionnée. » Alors petit passage coup de gueule après cette description : il faut arrêter de la mettre brune dans les adaptations. Brune = méchante est un gros raccourci et pas raccord avec son physique ! Voilà, nous pouvons reprendre. Mais elle n'avait qu'un physique, aussi beaucoup d'intelligence, une éducation soignée et surtout, cet « esprit Mortemart » avec une vivacité d'esprit et de répartie. Cela ne suffit pas toujours pour faire un beau mariage. Pourtant, Athénaïs a choisi son époux, il s'agit d'un mariage d'inclination, d'amour en somme ! Le bienheureux se nomme Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan. Un bel arbre généalogique pour un homme en apparence adorable mais sombrera malheureusement dans la violence et la jalousie. Fort heureusement, la jeune épouse avait pu devenir une des six dames de compagnie de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, grâce à son ami Philippe d'Orléans, dit Monsieur. L'occasion pour elle de parer à la Cour et de montrer ses talents. « Il n'était pas possible d'avoir plus d'esprit, de fine politesse des expressions singulières, une éloquence, une justesse naturelle qui lui formait comme un langage particulier, mais qui était délicieux » et quand Saint Simon fait un compliment sur quelqu'un, lui qui n'aime personne, il faut bien remarquer la justesse !

François-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, par Charles Beaubrun, 1660
(Château de Versailles)
Jeune femme piquante, elle était la reine du trait d'esprit, presque assassin pour sa cible, même si elle balayait sa méchanceté d'un éclat de rire, et cela n'a pas échappé à Louis XIV. A cette époque, il a pour favorite Louise de la Vallière, jeune ingénue en pente descendante assez douce, elle cherche à retenir le roi près d'elle et trouve une stratégie : devenir amie avec Athénaïs de Montespan, pour que le roi viennent la voir. Mais très vite, il ne voit plus que par Athénaïs, et malgré la flatterie, elle ne se voit pas favorite. Après tout, elle a un mari, peu importe son caractère, et il s'agit d'une femme bien élevée dans la foi et la piété. Hors de question de tromper son époux, pas même avec le roi. Le Pape peut être, qui sait … Et pourtant, on peut être une femme pieuse et aimer plaire, après tout elle avait aussi fréquenter les Précieuses. Tout bascula en juin 1667, en pleine Guerre de Dévolution, Louis XIV fit venir sa femme, et donc ses dames de compagnie. Maintenant qu'Athénaïs avait un pied dans le lit du roi, il valait mieux le conserver. Un peu de passion et donc beaucoup d'ambition.

On ne va pas s'éterniser sur le règne de la favorite d'une douzaine d'années. Avec son ascendant sur le roi, cette époque marque l'avènement de fêtes, de divertissements superbes. Comment oublier le Grand Divertissement Royal de 1668. Dans le parcours dans les jardins non terminés de Versailles on peut se prendre une collation au bosquet de l'Étoile, voir Georges Dandin ou le mari confondu, la comédie-ballet de Molière et Lully, manger un festin, danser au bal et voir un feu d'artifice ! Il y a aussi les six journées de fêtes entre le 4 juillet et le 31 août 1674. Tout cela va dans une période faste pour Louis XIV, avec sa victoire durant la Guerre de Hollande et sa supériorité sur l'Europe.

Alors pourquoi ? Pourquoi ce règne si glorieux s'est fini ? La « reine sultane » comme on appelait Madame de Montespan a fini par tomber de son piédestal. Doucement au premier abord. Tout comme pour La Vallière (retirée au Carmel et elle aussi oubliée de tous), le roi se lasse. Il vieillit et aimerait bien un peu de stabilité, loin du scandale et de l'énergie trop remuante de sa favorite. Puis, si Athénaïs a de l'esprit, elle n'a plus le physique. Il faut dire qu'elle a vécu neuf grossesses, dont sept royales, et son embonpoint se transforme en obésité. Mais surtout, l'affaire des Poisons a éclaboussé la favorite et a définitivement terni son image auprès du roi. On va résumer car c'est très compliqué : à Paris, on aime bien utiliser des filtres. De guérison ou d'amour, pour gagner de l'esprit ou une érection, tout est bon pour prendre quelque chose. Puis parfois, on bascule dans les poisons pour tuer un mari gênant, un parent avec un héritage, ou même juste pour s'amuser. Au bout d'un moment, ça a fini par se voir, et très vite, des noms ont circulé. Deux grandes empoisonneuses sont tuées : la marquise de Brinvillers est décapitée (le privilège de la noblesse), et La Voisin est brûlée en place de Grève. Pour l'instant, on ne soupçonne pas Madame de Montespan. Mais la fille de La Voisin donne son nom, et tout le monde se met à faire de même. Là vous avez cette image, comme dans Angélique et le Roi, de la Montespan, nue, un bébé sur le ventre, des gens masqués psalmodiant du latin et le bébé tué pour garantir l'amour du roi (d'ailleurs dans cette version, la Montespan est blonde !). On ne saura jamais ce qu'a fait vraiment la favorite du roi, Louis XIV ayant tout brûlé à ce sujet, mais aujourd'hui la plupart des historiens s'accordent à dire qu'elle aurait sans doute acheter des filtres d'amour.

Athénaïs de Montespan représentée en Iris, env.1670 (Château de Versailles)

En 1683, Athénaïs n'est plus la favorite mais reste à Versailles. Adieu les magnifiques appartements du premier étage, près de ceux du roi, pour les appartements des bains au rez-de-chaussée. « Elle se rongeait les doigts mais mais ne pouvait se décider à abandonner la partie. » Bien sûr, le roi allait toujours la voir, entre la messe et le dîner, et rien de bien assidu face à la nouvelle favorite, Françoise Scarron, devenue Madame de Maintenon. Tellement favorite qu'elle devient sa femme en secret quelques mois seulement après la mort de la reine Marie-Thérèse en 1683. Puis en 1691, elle quitta enfin la Cour, mais y revenait parfois, comme dit Madame de Caylus (d'accord, la nièce de la Maintenon n'est pas le témoignage le plus neutre) « comme les âmes en peine qui reviennent expier leurs fautes dans les lieux qu'elles ont habités. » Elle s'établit rue Saint Dominique, dans un logement luxueux, tendu de toile jaune à rayures feu. Après quelques années à mener grand train de vie, la peur de la mort et de ses pêchés lui reviennent en pleine face. Sa table devient frugale, elle jeûne et prie pour expier ses fautes. En 1707, elle partit prendre les eaux à Bourbon, après avoir fait du tri dans ses papiers, mis de l'ordre dans ses affaires. Mais le 22 mai, elle fut prise d'évanouissements. Comme le médecin n'arrivait pas, ses amies tentèrent de la soigner et lui donnèrent des vomitifs, environ trois fois la dose recommandée. Déjà que la médecine de l'époque n'était pas fiable … Elle fut déclarée perdue, reçut les derniers sacrements et passa ses derniers jours à préparer sa mort. Son fils, Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin (deviendra le 1e duc d'Antin en 1711) est venu la voir la veille de sa mort et raconte : « Arrivé à Bourbon la veille de son dernier jour, je fus le triste témoin de la mort la plus ferme et la plus chrétienne que l'on puisse voir. » Pour quelqu'un qui ne la portait pas dans son cœur, le voici bien aimable. Elle mourut le 27 mai 1707 sur les coups de trois heures du matin. Aucune oraison funèbre ne fut prononcée à Versailles bien sûr. Quant au corps de la défunte, son fils était parti sans donner de consigne. Athénaïs avait des instructions claires : embaumement de son cœur et ses entrailles, remettre le premier au couvent de La Flèche, les secondes au prieuré de Saint-Menoux, et son corps à Saint-Germain. Malheureusement, personne n'était là pour faire respecter ses dernières volontés. Pire encore, les deux curés du coin se disputèrent le cercueil devant l'église, on le posa à terre le temps de régler l'affaire et elle fut déposée provisoirement dans le reposoir. Ce n'est qu'en juillet que son fils se décida enfin ! Bien sûr, il ne réalisa pas le vœu de sa mère et son corps fut transporté à l'église des Cordeliers où reposent sa mère et sa sœur.

J'ai menti un peu. Contre toute attente, quelques personnes ont pleuré la mort de Madame de Montespan. Pas le roi bien sûr, ni même aucun de ses enfants. Son fils survivant, le duc d'Antin, a fait casser son testament et l'aurait bien jeté à la fosse commune. Le duc du Maine aurait été soulagé d'apprendre le décès de sa mère. Ses filles, et son fils le comte de Toulouse, la pleurèrent mais le roi leur interdisant de porter le deuil, elles renoncèrent aux parures et à la danse durant un mois. Mais contre toute attente, Madame de Maintenon la pleure aussi, sans doute par souvenir. En apprenant la nouvelle, elle sa cacha dans sa chaise percée, à défaut d'endroit plus intime. « Il est vrai que j'y fus fort sensible car cette personne-là n'a pu m'être indifférente en aucun moment de ma vie. » Triste fin pour une femme si forte et a marqué son empreinte du Grand Siècle et de Louis le Grand …



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