Dans le précédent
épisode de l'histoire belge, je vous parlais de la création du
royaume de Belgique avec son premier roi, Léopold 1e. Né d'une
révolution et d'un désir d'indépendance après avoir été sous la
coupe d'à peu près toute l'Europe, la Belgique a enfin un véritable
territoire, une administration, des frontières et un souverain
propre. Mais après la mort de Léopold 1e, que se passe t'il ?
Comment continuer sur la lancée d'un État si jeune, propice à
beaucoup de débordements ? C'est l'objet du jour, en
particulier avec le second souverain, Léopold II.
Que de chemin parcouru
par ce petit bout de territoire. De l'Antiquité au Moyen Âge avec
l'expansion bourguignonne, toute l'époque moderne avec la domination
Habsbourg, une fin de siècle troublée et un 19e siècle difficile,
puis enfin la naissance du royaume de Belgique en 1830.
Le premier roi des Belges, Léopold 1e, a du construire les
bases d'un État nouveau, et s'en est plutôt bien sorti … sauf au
niveau de son héritier. En effet, le souverain et Louise
d'Orléans son épouse eurent quatre enfants :
Louis-Philippe, Léopold, Philippe duc de Brabant et la princesse
Charlotte. Le premier décède à un an, Philippe est à
moitié sourd, refuse les responsabilités comme devenir roi de Grèce
(et il eut bien raison) ainsi que de Roumanie, et ne veut pas épouser
Isabelle de Bragance, héritière du trône impérial du Brésil.
Quant à Charlotte, elle fit un
beau mariage avec Maximilien d'Autriche, frère de l'empereur
François-Joseph, mais son ambition conduira son mari à sa perte et
elle dans la folie. Ambiance dans la famille.
Un
prince difficile
Léopold,
né en 1835, porte l'espoir de la descendance de cette jeune
monarchie, mais ne va pas rendre la tâche facile. Son éducation
stricte se fait sous l'autorité de son père, Léopold
1e n'étant pas réputé pour être un père affectueux et
présent, bien au contraire. Sa sévérité, son exigence et son
absence vont créer chez le futur Léopold II un caractère rebelle,
indépendant et intraitable, leur relation se montre tendu et cela ne
s'arrange pas après le mort de la reine Louise en 1850.
Le roi Léopold
1e cherche pour son fils un parti digne de ce nom. Après
tout, il est un spécialiste pour les bonnes unions, puisqu'il a
marié ses neveux Albert à la reine Victoria du
Royaume-Uni et Ferdinand à la reine Marie II du
Portugal. Le futur Léopold II se
marie en 1853 avec Marie-Henriette de
Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d'Autriche, fille de
l'archiduc-comte palatin de Hongrie Joseph-Antoine d'Autriche
et de Dorothée de Wurtemberg, autant dire que sur le papier,
c'est un très beau mariage. Marie-Henriette est une cavalière
émérite, passionnée de chevaux au point de leur prodiguer
elle-même des soins au mépris des convenances de l'époque, une
demoiselle joviale, pleine d'entrain et toujours de bonne humeur.
Mais son mariage aura raison de sa joie de vivre. Les caricaturistes
voient dans ce mariage celui d'un « palefrenier » et d'une «
religieuse » ... la « religieuse » étant Léopold, montré comme
coincé et froid.
Heureusement, il y a un
point positif dans cette union : Léopold
peut enfin voyager, quitter cette Belgique trop étriquée pour lui
et durant son voyage de noces, le couple passe par tout un tas de
pays : Italie et notamment Venise, Égypte, Palestine, Liban,
Syrie, Chypre, … Alors que son père n'arrive pas à trouver de
colonie pour la Belgique, le prince voyage – profitant pour laisser
son épouse à Bruxelles – à la recherche du parfait territoire,
et cela deviendra son obsession durant son règne.
En 1865, Léopold
1e meurt, et son fils devient Léopold
II de Belgique. Son règne est l'un des plus controversés
de l'histoire belge. Souverain intraitable, ferme sur ses positions,
il se sent à l'étroit dans ce petit royaume impossible à agrandir,
il est comme un « géant logé dans un entresol ».
Il a des ambitions pour la Belgique, se passionne pour les sciences
et les technologies de l'époque, équipe le royaume du chemin de
fer, s'intéresse au Cana de Suez. Il donne des libertés à son
peuple, comme la création Parti Ouvrier Belge en 1885 ou le vote au
suffrage universel en 1893.
Une obsession coloniale
Mais lui veut voir plus
loin, ce système colonial le fascine et il veut, tout comme ses
voisins européens, posséder une terre à l'autre bout du monde.
« La Belgique
doit devenir la capitale de l'Empire belge qui se composera, Dieu
aidant, des îles du Pacifique, de Bornéo, de quelques points de
l'Afrique et de l'Amérique, et enfin de portions de la Chine et du
Japon. Voilà mon but, je suis le seul à le poursuivre, en
surexcitant la fibre nationale, je me crée des apôtres et des
soutiens. »
Finalement, une terre en
Afrique, le Congo, trouve grâce à ses yeux, une terre de 2,5
millions de km². C'est la naissance de l’État « indépendant »
du Congo. En 1878, la Belgique crée l'Association internationale du
Congo dont la vocation est principalement économique. Il faut
l'avouer, personne ne croit en cette réussite, même la reine
Marie-Henriette lui dit « Ton Congo va nous
ruiner ! ». Et pourtant, le Congo regorge de
caoutchouc, matière devenue indispensable en période industrielle,
et les prix flambent. En 1885, Léopold
II peut ajouter une seconde couronne à la sienne, qu'il
ne devra qu'à lui-même, celle de roi du Congo.
Affiche pour la Manifestation Nationale pour fêter l'annexion du Congo à la Belgique (BALaT) |
Une vie tourmentée et si lucide
Que ce soit au niveau
privé et public, Léopold II se
montre complexe, sinueux et assez difficile à cerner. Une chose est
sûr, il aime les femmes. De préférence petites, brunes et
boulottes, il les appelle ses « Noires » et se montre
généreux tant qu'elles ne s'attachent pas. L'adultère n'est pas un
problème pour lui, délègue à son valet la tâche redoutable de
« rabattre le gibier ». Quel romantisme … La
reine Marie-Henriette meurt en 1902 après des années de
solitude, et Léopold II se
retrouve seul, vu qu'il n'aime pas vraiment sa famille non plus.
Alors amour ou peur de vieillir ? Toujours est-il qu'il s'éprend
d'une jeune femme de dix-sept ans, Blanche Delacroix. Il la
fait baronne de Vaughan (un titre fictif), il l'appelle « Très
belle » et elle « Très vieux » et ont ensemble
deux fils,Lucien et Philippe. Ce dernier naît avec une malformation
du bras, ses détracteurs disent que l'atrophie de son fils paie pour
les traitements infligés aux Noirs du Congo. Les gens, toujours très
sympathiques …
Je disais qu'il n'aimait
pas sa famille et en effet, il n'est tendre avec personne. Il
reproche à son frère Philippe son manque d'ambition, sa sœur
Charlotte sombre dans la folie après l’exécution de
Maximilien d'Autriche au Mexique et il n'a pas d'héritier.
Son seul fils, nommé aussi Léopold, meurt en 1869 à l'âge de neuf
ans seulement. Quant à deux de ses filles, il les appelle « les
monstres » car elles le déçoivent. Qu'ont-elles fait de si
grave ?
L'aînée, Louise,
fait un maigre mariage dynastique (mais riche en fortune) avec son
cousin Philippe de Saxe-Cobourg, part vivre à Vienne,
provoque des scandales avec son tempérament léger, sa tendance à
la dépense, prend un amant et son mari la fait enfermer pour folie,
divorce pour vivre avec l'homme qu'elle aime et passe sa vie à
voyager pour fuir ses créanciers.
La
princesse Stéphanie fait un très beau mariage, avec
l'archiduc Rodolphe d'Autriche, héritier du trône impérial
d'Autriche-Hongrie. Mais ce dernier meurt à Mayerling en 1889 avec
sa maîtresse. Léopold II reproche à sa fille de ne pas
avoir tenu son mari. Elle se remarie en 1900 avec le comte Elemér
Lónyay. Elle perd ses titres impériaux, sa fille et son père
rompent contact avec elle.
La cadette Clémentine
échappe à ce sort, remplit les fonctions de sa mère, qui a quitté
la Cour de Bruxelles, et peut jouir d'une relative liberté que peu
de princesses ont à cette époque. Mais tout cela a un prix, car la
princesse devient la canne de vieillesse de son père, à tel point
qu'il lui refuse une union avec le prince Victor Napoléon
Bonaparte car il veut garder sa fille près de lui, prenant pour
excuse qu'il ne veut pas compromettre les relations diplomatiques
entre la Belgique et la République Française. La jeune femme attend
la mort de son père pour convoler avec son bien-aimé en 1910 …
Un autre problème
s'impose aussi, le choix de l'héritier. Son fils décédé,
Léopold II se tourne vers son frère Philippe,
puis les fils de celui-ci. Baudoin représente le parti idéal
aux yeux difficiles du souverain, mais le jeune homme a la mauvaise
idée de mourir en 1891 d'une pneumonie. C'est donc à Albert,
un garçon un peu timide et gauche, que revient la responsabilité de
devenir le troisième roi des Belges, et Léopold
II est déçu de ce choix, bien évidemment.
S'il est aussi
intransigeant en privé, il l'est tout autant en public. Le souverain
se bat pour continuer la politique de neutralité, appuie
l'édification de fortifications dans les grandes villes et veut
absolument imposer le service militaire obligatoire. A t'il senti le
vent tourné en Europe ? Dix ans avant l'attentat de Sarajevo
qui mettra le feu aux poudres en Europe, Léopold II se démène
pour que son royaume résiste au futur si sombre. Il institue la
Donation royale qui gérera la patrimoine (environ 4 milliards de
francs belges de l'époque), puis crée dans la foulée de
Niederfüllbach pour ne pas voir s'éparpiller sa fortune. Et à sa
mort, il légua à ses filles ce qu'il avait hérité de son père,
soit 15 millions, pas plus. Louise et Stéphanie intenteront un
procès pour obtenir plus, mais toutes les deux perdront.
Il meurt le 17
décembre 1909, à 74 ans, quelques jours après la
promulgation du service militaire obligatoire et cinq jours après
son mariage morganatique avec Blanche Delacroix. Le souverain voulait
un enterrement en toute intimité, mais celui lui est bien sûr
refusé et ses funérailles sont réalisées en grande pompe avant de
reposer dans la crypte royale de l'église Notre-Dame de Laeken à
Bruxelles. Second roi des Belges, Léopold
II est l'une des personnalités les plus controversées de
l'Histoire de la Belgique : haine, admiration, respect, rejet,
peur, incompréhension, moqueries … Le Congo a été le gros point
noir de son règne, et Mark Twain dit que Léopold II a été «
Le roi avec 10 millions de morts sur la conscience ». Mais
après l'ombre, vient la lumière parait-il, et la Belgique le verra
en la présence d'Albert 1e, leur
nouveau roi …
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