jeudi 8 mars 2018

3 reines de France méconnues




A l'occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, je voulais mettre en avant trois reines de France que l'on oublie facilement. En effet, beaucoup n'ont pas forcément marqué l'histoire par leurs scandales, leurs forces politiques ou par leurs vies trépidantes, mais elles ont épousé un roi de France, donné un héritier, ou plusieurs, ou pas d'ailleurs, mais leurs noms sont attachés à jamais à la France. Il n'y a pas que Aliénor d'Aquitaine, Blanche de Castille, Anne de Bretagne, Catherine de Médicis ou Marie-Antoinette. J'en ai sélectionné trois parmi tant d'autres pour vous en parler aujourd'hui.


J'aime bien ce petit rituel pour le 8 mars, mettre en avant un certain type de femmes. L'an dernier, j'avais présenté quatre femmes dans l'Histoire, et il y avait de tout. Cette année, j'ai voulu resserrer sur un thème bien précis. Femmes politiques ? Écrivaines ? Maîtresses ? Aventurières ? Il y avait de quoi faire, et je peux faire un thème chaque année jusqu'à ma retraite ! Mais autant faire simple, et prendre un thème que j'apprécie, c'est la monarchie française. Alors pourquoi pas un thème des reines ? Et pour ne pas trop m'éparpiller, j'ai choisi les reines de France. Et des reines il y en a eu ! Depuis Hugues Capet, il y a eu trente trois rois de France et quarante neuf reines ! Hé oui, il faut bien assurer la lignée et si une meurt en cours de route, on la remplace. Je vous l'ai répété moult fois, l'amour dans le mariage royal, on oublie. Si ça arrive tant mieux, sinon tant pis, on s’accommode l'un à l'autre. Mais une chose est certaine, on ne choisit pas une reine de France par hasard, il y a les critères politiques qu'il faut prendre en compte. Les paysannes ne deviennent pas reine, nous ne sommes pas en Russie.

Mais trêve de bavardages, je vous ai trouvé trois reines, trois origines, trois histoires, trois époques différentes et j'espère que vous pourrez citer ces reines quand on vous parlera de reines de France (ce qui est une conversation tout à fait classique).

Marguerite de Provence


Statue de Marguerite de Provence au jardin du Luxembourg (Wikimedia Commons)
Marguerite est la fille aînée de Raimond Bérenger V, comte de Provence, qui a seulement quatre filles survivantes. Il faut savoir que la Provence n'est pas encore dans le royaume de France, tout comme le comté de Toulouse, et les différents rois de France cherchent à avoir la main mise sur ces régions du sud un peu trop rebelles et attachés à l'Aragon ou aux religions hérétiques avec les cathares. Pourtant, la reine-mère Blanche de Castille n'est pas pressée de marier son fils, le roi Louis IX. Ce dernier demande à son envoyé du Languedoc, Gilles de Flagy, de se renseigner sur le comte de Provence et sa fille. Le chroniqueur Guillaume de Nangis explique que le roi de dix-neuf ans fait la demande de se marier « non pour cause de luxure mais pour procurer une lignée. » Et Marguerite, jeune fille de treize ans, est parfaite, le dynastie capétienne met un pied en Provence.

Pour information, les trois sœurs de Marguerite n'ont pas fait des mariages de merde : la seconde Aliénor épouse le roi d'Angleterre Henri III ; la troisième Sanchie se marie à Richard de Cornouailles, frère du roi d'Angleterre, qui sera couronné roi des Romains mais il manque de peu le titre d'empereur ; la dernière Béatrice devient l'héritière du comté de Provence à la mort de son père en 1245, épouse le frère de Louis IX, Charles d'Anjou, et le couple obtiendra le royaume de Sicile. Amusant est que tout ce beau monde se retrouve à la fin des années 1250 pour un grand dîner familial, et royal !

Mais revenons à Marguerite ! Le mariage est annoncé avant l'Ascension de 1234, le temps que le roi et sa suite quittent Paris et que la jeune femme remonte jusqu'à Sens en compagnie de son oncle Guillaume de Savoie, évêque de Valence, et le couple se marie le 27 mai 1234. Comme souvent au Moyen Âge, le mariage se fait en deux temps : tout d'abord sur une estrade devant l'église où se déroule le rite catholique avec le consentement des époux et l'échange des anneaux, puis tout le monde entre dans l'église pour une messe. Le lendemain, Marguerite est couronnée reine de France. Louis IX, connu pour sa piété et selon le rite des trois nuits de Tobie, il ne couche pas avec son épouse avant le troisième soir. Mais le couple royal ne voit pas la naissance d'un enfant durant six ans, jusqu'à la naissance de Blanche de France en 1240. Bon après, les enfants vont s'enchaîner : 11 enfants en vingt ans, joli score. La reine-mère Blanche de Castille n'a pas été tendre avec sa belle-fille, et possessive avec son fils, car elle n'hésitait pas à faire irruption dans la chambre de l'un ou l'autre. Une anecdote est révélatrice. Après un accouchement difficile, la reine Marguerite est malade et alitée, son époux Louis IX la veille mais Blanche de Castille veut faire sortir son fils de la chambre. Marguerite répondit « hélas, vous ne me laisserez voir mon seigneur ni morte ni vive. » avant de s'évanouir. La croyant sur le point de mourir, Louis IX resta auprès de son épouse.

Marguerite est fidèle à son mari, même si elle raconte volontiers au chroniqueur Joinville que Louis IX est un mari à l'humeur changeante, difficile avec elle, voire tyrannique. De plus, il ne s'investit pas auprès de ses enfants quand ils sont jeunes, mais plus attentifs en grandissant. Pourtant, elle le suit volontiers, et en croisade s'il le faut ! En 1248, le roi, ses barons, ses frères ainsi que Marguerite partent pour le sol port du royaume en Méditerranée, Aigues Mortes. Direction, l’Égypte ! Oui, la croisade sert pour reprendre Jérusalem aux mains des musulmans mais Louis IX veut passer par l’Égypte, et remonter la côte. La prise de Damiette est une réussite mais le roi décide de descendre le Nil et est fait prisonnier. Marguerite devient chef des croisés restés sur les navires en mer, et se dépêche de dégoter la rançon. Grâce à elle, Louis IX ne reste prisonnier qu'un mois, et la croisade reprend jusqu'en 1254. Pendant ces six années, Marguerite accouche de trois enfants durant ce périple.

Le 15 mars 1270, Louis IX repart pour son ultime croisade, dit au revoir à Marguerite et part pour Tunis, mais ne reviendra pas. Marguerite ne laisse pas sa place pour autant car elle restera auprès de son fils Philippe III le Hardi, puis se retira à l'avènement de son petit-fils Philippe IV en 1285. Elle se retire et travaille pour les fondations pieuses avant de mourir en 1295 et être inhumée à la basilique St Denis.


Marie-Thérèse d'Autriche


La reine Marie-Thérèse et son fils le Dauphin, par Charles Beaubrun, 1663 (Musée du Prado)

Nous passons du 13e siècle au 17e siècle, et on quitte la Provence de Marguerite pour l'Espagne de Marie-Thérèse. Elle est la fille du roi Philippe IV d'Espagne et d'Isabelle de France, qui s'occupe de son éducation. Elle la confie à la comtesse Olivares, puis par la comtesse Paredes de Nava, une femme cultivée parlant latin, italien et sachant mener la conversation, et elle devient la gouvernante de l'infante en 1644. La jeune infante mène une vie très stricte à l'espagnole où tout est réglementé : toilette, repas, entourage … elle grandit dans une cage dorée et n'apparaît que très peu à la Cour et devant le peuple, elle reçoit très peu de visites aussi. Son destin bascule une première fois quand son frère Balthazar, héritier de la couronne, décède subitement en 1646. Sur neuf enfants du couple royal, il ne reste plus que Marie-Thérèse. Et contrairement à la France, les femmes peuvent régner en Espagne, l'infante devient héritière du royaume. Son éducation est confiée à des hommes érudits comme Jean de Palme, ancien gouverneur de sa mère, puis André de Guadalupe, elle apprend à « vivre au milieu du grand monde sans l'esprit du monde ».

La jeune enfant continue de mener une vie recluse avec ses naines, ses chiens et quelques amies bien choisies, mais son père la fait apparaître publiquement de temps à autre, comme le 15 mai 1648 à Madrid, devant un peuple en liesse. Elle participe aux sorties équestres avec son père et chasse très bien au fusil avec lui. Mais Philippe IV, vieux roi las, se remarie en 1649 avec Marie-Anne d'Autriche, sa nièce en 1649. Il a quarante-trois ans, elle quatorze (tss tss, cherchez pas, c'est normal en Espagne) et il espère toujours avoir un jour un fils. Deux filles naissent tout d'abord, laissant champ libre à Marie-Thérèse d'accéder un jour au trône. Mais voici que le 20 novembre 1657, la reine donne un fils, Philippe-Prosper (mais ce sera un second fils, Charles II qui régnera sur l'Espagne), et Marie-Thérèse manque de s'étouffer avec son œuf en apprenant la nouvelle ! La loi est claire, une femme ne règne seulement s'il n'y a pas d'héritier mâle, elle est donc reléguée à la seconde place de la succession, à l'âge de dix-neuf ans. Et en tant qu'infante d'Espagne, elle fait partie des demoiselles les plus courtisées, avec les archiduchesses d'Autriche, bref quand on fait partie de la famille Habsbourg. Contrairement aux portraits des français – les seuls à la trouver stupides et moches – Marie-Thérèse est une jolie fille blonde aux yeux bleus (oui, cela ne fait pas très espagnol), de petite taille mais avec des traits impressionnants lui donnant un air grave, et un regard emprunt d'intelligence. La ressemblance avec sa mère est même frappante. Autant dire qu'elle passe des heures à poser pour ses divers prétendants. Deux se détachent du lot : son cousin Léopold, futur empereur Léopold 1e du Saint Empire, et son autre cousin le roi de France Louis XIV. Marie-Thérèse se tient informée des tractations maritales et a son propre avis : elle préfère Louis XIV « par son mérite, par sa grandeur et sa personne devant contenter ses désirs. » D'ailleurs, elle fait une révérence au portrait dés qu'elle passe devant.

Cela tombe bien, la France et l'Espagne se font la guerre depuis trop d'années, il est temps de faire la paix, et de sceller cela par un mariage. Louis XIV se voit contraint de renoncer à son premier amour Marie Mancini pour le bien de l’État. Le traité est négocié sur l'île des Faisans dés 1659 et on fixe le mariage à la fin du printemps 1660. L'infante Marie-Thérèse quitte Madrid avec son père pour la frontière pour Fontarrabie où elle rencontre sa belle-mère (et tante) Anne d'Autriche, le cardinal Mazarin et son beau-frère Philippe d'Orléans, dit Monsieur. Théoriquement, elle ne doit pas rencontrer son époux, mais Louis XIV tourne autour de la maison depuis un petit temps, curieux de voir sa femme (puisqu'ils sont mariés par procuration). Mazarin annonce qu'un inconnu se trouve devant la porte, et la jeune femme voit passer la tête de Louis et rougit. Monsieur, pour détendre l'atmosphère, demande en espagnol « Que semble t'il à Votre Majesté de cette porte ? » et Marie-Thérèse de répondre « elle me paraît fort jolie. »

Le mariage fut célébré le 9 juin 1660 à Saint Jean de Luz, où elle devint officiellement reine de France. Marie-Thérèse apporta avec elle en France le chocolat et les oranges qui rencontrèrent un franc succès. Elle parlait assez mal le français mais contrairement aux idées reçues, elle le comprenait très bien. Cependant, ce n'est pas une femme du monde et préfère vivre dans ses appartements comme elle le faisait en Espagne. Et si Louis XIV lui préfère les favorites comme Louise de la Vallière et Athénaïs de Montespan, il se montre un mari soucieux du bien être de sa femme. Il avait « une considération infinie pour la reine et se montrait sans cesse plus attentif et plus jaloux du respect de la Cour pour elle que pour lui-même. » La preuve est que Louis avait un rituel immuable : après les divertissements, il partait souper (et plus) chez ses maîtresses avant de rejoindre le lit de son épouse.

Pourtant, la double consanguinité ne fit pas bon ménage pour leur lignée. Marie-Thérèse donna six enfants, mais seul l'aîné Louis, dit le Grand Dauphin, atteint l'âge adulte. Sa vie espagnole se montre plus trépidante que celle en France où elle demeure renfermée mais participe aux événements selon son rang, aime jouer lors des soirées appartements et dépense beaucoup. Discrète et pieuse, elle supporte comme elle peut les infidélités de son mari. Au début des années 1680, sous l'influence de Madame de Maintenon, Louis XIV se rapproche de son épouse et elle vit avec plaisir ce retour en grâce « Dieu a suscité Madame de Maintenon pour me rendre le cœur du roi ! Jamais il ne m'a traitée avec autant de tendresse que depuis qu'il l'écoute ! »

Malheureusement, cela ne dure pas, la reine Marie-Thérèse meurt le 30 juillet 1683 d'une tumeur sous le bras. « Voilà le premier chagrin qu'elle me cause » dit Louis XIV apprenant sa mort. Inhumée à la basilique St Denis, son époux se remarie en secret deux mois plus tard avec Madame de Maintenon …

Marie-Amélie de Bourbon-Sicile


La reine Marie-Amélie avec ses deux jeunes fils, le duc d'Aumale et Montpensier,
par Louis Hersent, 1835 (Château de Versailles)

Bon d'accord je triche un peu, celle-ci ne fut pas reine de France mais reine des Français, la nuance s'avère de taille, surtout après deux révolutions. Mais elle est reine, et non impératrice comme Joséphine ou Eugénie, et elle est très peu connue, tout comme cette période de la Monarchie de Juillet, alors autant parler un peu d'elle.

Marie-Amélie est, comme son nom l'indique, une Bourbon, de la branche espagnole. Pour faire un rapide résumé, les Habsbourg d'Espagne se sont éteints avec Charles II en 1700, une guerre a eclaté pendant plus d'une décennie et la France a gagné, mettant Philippe d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, sur le trône d'Espagne sous le nom de Philippe V. La branche espagnole s'est elle-même scindée en deux pour les deux fils aînés de Philippe V : Ferdinand garde l'Espagne et son frère Charles devient roi des Deux-Siciles. C'est de cette dernière branche que vient Marie-Amélie. Son père est Ferdinand Ier des Deux-Siciles et sa mère, Marie-Caroline d'Autriche, elle-même fille de Marie-Thérèse d'Autriche et François III de Lorraine, donc la sœur de Marie-Antoinette. Ah l'Europe, cette grande famille … Cette grande fratrie de dix-huit enfants (dont sept seulement atteignent l'âge adultes), Marie-Amélie naît le 26 avril 1782 et sa mère se serait écriée « Mon Dieu, encore une fille, encore une fille à marier ! » et manque de mourir avant d'être sauvée. Ses parents sont des personnalités particulières : Ferdinand s'en fout complètement d'être roi, préférant chasser et lutiner de la servante, et Marie-Caroline s'avère ambitieuse et d'une main de fer.

Marie-Amélie se révèle d'une grande intelligence, apprenant la lecture avant ses trois ans et recevant des préceptes catholiques. Son destin est tout destiné en tant que princesse, épouser un prince d'une grande maison, et sa mère Marie-Caroline a entamé les négociations avec la France, où sa sœur Marie-Antoinette est reine et a mis au monde deux garçons. Elle grandit entre les palais d'hiver et d'été à Naples, s'épanouit et se montre bien plus éveillée que ses sœurs aînées. Pourtant, son tempérament colérique et prêt à s'emporter doit être mater, sa mère ayant le même ! Pour calmer l'enfant, rien de mieux qu'une éducation stricte à base de peur du Seigneur pour calmer les ardeurs ! Si cela est efficace, cela renferme l'enfant sur elle-même et elle s'empêche toute spontanéité … Elle compense par l'apprentissage, elle parle l'italien, l'allemand et apprend le français pour son futur mariage, mais aussi la mythologie, l'histoire, la géographie, la danse, la musique, la broderie, la conversation et le maintien. La panoplie parfaite de la princesse modèle. Heureusement, son père Ferdinand est là pour donner le sourire à ses enfants par de longues promenades, visites de ferme et amusements d'enfants.

Mais ce bonheur familial dure peu. La Révolution française embrase l'Europe, mais la famille royale fuit en Sicile en 1798. En 1800, Marie-Amélie quitte Palerme, le soleil méditerranéen pour Vienne. C'est une jeune fille de dix huit qui commence son journal qu'elle alimentera jusqu'à sa mort où elle raconte son départ, sa montée sur le navire de l'amiral Nelson, partageant son temps entre pleurer et prier. Elle perd tout : son destin de reine est terminé, elle n'est plus qu'une princesse sans royaume … Pourtant, son séjour à Vienne fut merveilleux au milieu de sa famille, la famille impériale à Schönbrunn, au milieu des fêtes. D'ailleurs la jeune femme connaît ses premiers émois avec l'archiduc Antoine, frère de l'empereur François II. Beau, blond, bien fait, les deux jeunes gens se tournent autour et le prénom revient souvent dans le journal de la demoiselle. Malheureusement, Antoine se marie avec l’Église pour devenir archevêque de Cologne et prince-évêque de Münster en 1801, ce qui a été consigné dans le journal « Nous avons assisté à Vienne dans la chapelle royale à la messe funèbre pour l'âme de l'électeur. En route, maman nous a dit qu'Antoine était destiné à être son successeur et qu’incessamment il prendrait les ordres sacrés. » Si elle reste polie et respectueuse dans son journal, elle espère que le bel Antoine – qui n'a pas la vocation d'endosser les ordres – lui reviendra. Mais elle reçoit une opportunité incroyable avec le prince des Asturies, mais Marie-Caroline décide que son autre fille sera future reine d'Espagne (ce qui n'arrivera pas, la jeune femme meurt en 1806). Et si Marie-Amélie croit toujours en sa liberté viennoise, l'empereur est clair : les princesses napolitaines et les archiducs doivent se montrer moins familiers. François II ne veut pas que sa famille épouse une famille exilée, même si c'est la sienne. « J'aurais voulu me mettre sous terre et mourir et je sentais mon cœur se fendre de douleur. »

Si la famille arrive à revenir à Naples après une contre-révolution, il faut maintenant affronter le nouvel empereur des Français, Napoléon Bonaparte. Pourtant, on pense davantage au mariage la sœur, Marie-Christine et même Marie-Amélie écrit dans son journal le 1e novembre 1805 « Le matin, après avoir fait de la peinture, j'ai apprise l'heureuse conclusion du mariage de Mimi avec le duc de Genevois. » Pourtant, on sait qu'elle a été prise de vertiges et a pleuré dans sa chambre. Mélange d'une nouvelle séparation, et qu'elle soit toujours vieille fille à vingt-trois ans, ce qui commence à faire vieille pour l'époque. Et pendant ce temps, la politique s'envenime et Napoléon 1e fait abdiquer le couple royal, et tous partent pour un nouvel exil en Sicile. Le royaume de Naples revient tout d'abord au frère de Napoléon, Joseph Bonaparte, puis à Joachim Murat.

Deuxième exil, une Europe en déroute face à « l'ogre corse », Marie-Amélie se voit finir à Palerme au milieu de sa famille. C'est fou comme le destin peut changer avec un rien. En cette belle journée du 20 juin 1808, un navire anglais accoste à Palerme avec un fringuant voyageur à son bord. Son nom ? Louis-Philippe d'Orléans, duc de Chartres, âgé de trente-quatre ans, et aventurier depuis son exil lors de la Révolution. Autant dire que ce n'est pas Joe le clodo ! Il n'est pas là par hasard. En exil en Angleterre, il faisait un voyage avec son frère malade pour qu'il prenne le soleil (mais celui-ci meurt) et il espère bien obtenir la main de sa cousine Marie-Amélie … encore une fois, l'Europe cette grande famille … Si Marie-Caroline voit au début d'un mauvais œil ce fils de révolutionnaire (son père, appelé Philippe Égalité, a voté la mort du roi … avant d'être guillotiné à son tour) mais accepte le mariage à une condition : qu'il fasse confession de sa part prise durant la Révolution. Louis-Philippe est donc invité à la Cour de Sicile et Marie-Amélie relate leur rencontre le 22 juin 1808 « à la fin de la matinée, le duc d'Orléans est arrivé et s'est rendue maman […] maman nous l'a présenté. Il est d'une taille ordinaire, plutôt gras, d'un extérieur ni beau ni laid. Il a les traits de la maison de Bourbon et est très poli. » Bon ce n'est pas l'amour fou, pas plus que de son côté « Elle n'est pas jolie. Elle était même laide, grande, maigre, le teint rouge, les yeux petits, les dents mal rangés mais elle avait le col long, la tête bien placée, très grand air. Elle supportait bien la parure, avait beaucoup de grâce et de dignité. » Quand le roi Ferdinand VII d'Espagne, prisonnier de Napoléon, demanderait bien la main de la princesse. Non, Marie-Amélie tempête : elle veut épouser Louis-Philippe, elle en est éprise et ne veut personne d'autre ! Ah, des sentiments, et réciproques car quand il doit partir, le duc d'Orléans serre le bras de la jeune femme contre son cœur « Conservez moi, je vous prie, vos sentiments. »

Enfin, ils se marient le 25 novembre 1809. La cérémonie se passe dans un premier temps dans la chambre du roi Ferdinand car il s'est cassé la jambe, puis le couple s'en va pour la messe, Marie-Amélie porte une magnifique robe blanche et argent, ainsi qu'un magnifique diadème de brillants et de plumes. Elle a vingt-huit ans et enfin se marie, pour mener une existence plus tranquille. Mais où est la reine là dedans ?

Faisons simple car Marie-Amélie n'a pas pris part à la politique de son époux. Le couple met au monde dix enfants, dont huit atteignent l'âge adulte. A la chute de Napoléon et au retour des Bourbons sur le trône de France, Louis-Philippe retourne en France avec toute sa famille aux côtés de Louis XVIII puis de Charles X. Mais lors des Trois Glorieuses de 1830, tout bascule. Charles X est contraint d'abdiquer et part en exil après avoir désigné son petit-fils comme héritier, mais un enfant ne peut pas faire l'affaire en temps de crise, et l'on propose à Louis-Philippe la couronne qu'il accepte et devient roi des Français. Tout comme les femmes avant elle, Marie-Amélie entame une politique matrimoniale, mariant sa fille aînée Louise-Marie au tout nouveau roi des Belges, Léopold 1e ; Marie épouse le duc Alexandre de Wurtemberg et la dernière fille, Clémentine, s'unit au prince Auguste de Saxe-Cobourg-Kohary. Pour les garçons, c'est plus compliqué, Marie-Amélie est dévastée que la maison d'Autriche, sa famille, refuse le mariage entre leurs enfants. Elle accepte que son aîné Ferdinand épouse une protestante Hélène de Mecklembourg-Schwerin ; Louis épouse Victoire de Saxe-Cobourg-Kohary ; François se choisit une épouse à l'autre bout du monde, la princesse Françoise du Brésil ; Henri se marie à une cousine, Marie-Caroline de Bourbon-Siciles ; et enfin Antoine entre dans la famille royale espagnole en épousant la sœur de la reine, Louise-Fernande de Bourbon.

La famille d'Orléans mène une vie assez bourgeoise tant dans l'éducation des enfants que dans leurs quotidiens, cela se voit dans leurs demeures à Neuilly et au château d'Eu, bien moins officiel que le palais Royal ou les Tuileries, mais Marie-Amélie ne pensait pas mener une vie aussi dramatique. Après avoir perdu ses enfants Marie et Ferdinand, voilà que la Révolution de 1848 met fin à la Monarchie de Juillet et toute la famille part pour l'Angleterre. En 1850, elle perd son époux et sa fille Louise. Mais de sa demeure anglaise sous la protection de la reine Victoria, Marie-Amélie suit le parcours de ses enfants et petits-enfants dispersés dans toute l'Europe et même au-delà. Car son fils François, accompagné de son propre fils et de ses deux neveux, s'engagent dans la guerre de Sécession aux États Unis. Sous le titre honorifique de comtesse de Neuilly, Marie-Amélie mène une vie simple entourée de sa famille, à écrire à sa famille comme sa petite fille Charlotte de Belgique.

Octogénaire et ne quittant plus sa chambre, Marie-Amélie attend sa fin, entre prières et dévotions. Lorsqu'elle meurt le 24 mars 1866 à l'âge de quatre-vingt trois ans, ses enfants ont la parfaite épitaphe « le modèle incomparable de toutes les vertus et de toutes les douleurs. » Tout d'abord inhumée dans la chapelle Saint-Charles Borromée à Weybridge, elle repose depuis 1886 dans la nécropole des Orléans, la chapelle royale de Dreux.

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J'espère que cet article vous a fait connaître un peu mieux ces trois reines ! Si vous en avez d'autres à me conseiller n'hésitez pas, il y en a tant. J'avais dans ma liste Anne de Kiev, Jeanne de Navarre, Marguerite de Bourgogne, Jeanne de Bourbon, Marie d'Anjou, … Et bien d'autres encore !

3 commentaires:

  1. Ton article est passionnant, et j'aime beaucoup les libertés de style où l'on apprend que "les 3 soeurs de marguerite n'ont pas fait des mariages de merde", que "Marie-Thérèse manque de s'étouffer avec son oeuf" et que "Louis-Philippe d'Orléans, c'est pas Joe le clodo" :D Tu m'as fait beaucoup rire, et tu m'as aussi beaucoup instruit (pouce en l'air) !

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    1. Merci beaucoup ! Je me suis un peu lâchée sur cet article et ça fait du bien. Puis si ça plaît, je pense continuer. Et si en plus je t'ai appris quelque chose, c'est parfait ♥

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  2. J'avais beaucoup aimé ton article de l'an passé sur 4 femmes dans l'histoire alors c'est avec plaisir que je lis celui-ci.

    Comme Julien dans le commentaire précédent, j'aime beaucoup ton "ton" :-D

    Je ne connaissais pas Marguerite de Provence ni Marie-Émilie. L'histoire des femmes est celle que je préfère alors merci ! :-)

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