mardi 10 avril 2018

10 avril 1599 : Mort de Gabrielle d'Estrées




Gabrielle d'Estrées, favorite et presque reine, avait tout l'avenir devant elle, un destin flamboyant aux côtés d'Henri IV, son royal amant. Jeune, belle, bien née, féconde, elle avait tout pour elle et rien ne semblait arrêter son ascension, ou presque. Mais la vie peut se montrer cruelle et voici la jeune femme fauchée dans la fleur de l'âge, jamais elle ne verra ses trente ans, elle ne sera jamais reine. Ne reste d'elle que son nom et son célèbre tableau où sa sœur lui touche le bout du sein. Retour sur son dernier jour avant que l'Histoire ne l'oublie …


Des favorites, il y en a toujours eu de tout temps. La première connue reste Agnès Sorel, maîtresse de Charles VII, et une grande partie des rois ont eu une ou plusieurs maîtresses qu'ils ont érigé au rang de favorites. Proche de la période, difficile d'oublier Diane de Poitiers qui a fait battre le cœur d'Henri II au détriment de son épouse Catherine de Médicis. Henri IV a toujours été un homme à femmes, le Vert-Galant ne porte pas son nom parce qu'il l'avait eu en gage un soir de beuverie. Et le mariage n'a pas arrangé les choses : son épouse Marguerite de Valois ne trouvait pas grâce à ses yeux. Non pas qu'elle soit laide, non, Margot était sans doute la plus jolie fille de France, mais elle lui rappelait les enjeux des guerres de religion et il voyait en elle une intrigante. Qui sait ce qu'il se serait passé s'il lui avait donné une chance depuis le début … Depuis 1589 après l'assassinat de son cousin Henri III, Henri de Navarre devient Henri IV, premier Bourbon sur le trône, et traîne derrière lui son épouse, exilée et qui ne lui donne pas d'enfant. Le couple s'accorde qu'il faut annuler le mariage, chacun avance ses pions et met en avant la stérilité, la consanguinité et le vice de forme.

Seulement à côté, le bon roi Henri s'est entiché d'une jeune femme, Gabrielle d'Estrées. Ah enfin, on en parle, c'est un peu son article ? Mais qui est-elle et d'où sort-elle ? Fille d'Antoine d'Estrées, baron de Boulonnois, vicomte de Soissons, gouverneur de l'Île-de-France et de Françoise Babou de La Bourdaisière, elle n'est pas née dans un ruisseau mais plus avec une cuillère en argent. Mais bon, la réputation de la famille n'était pas reluisante : la grand-mère de Gabrielle se vantait de s'être glissée dans le lit du pape Clément VII, sa mère abandonna mari et enfants pour son amant avant d'être assassinée. Son père avait décidé d'éloigner ses enfants de la Cour, Gabrielle et le reste de sa fratrie, dont sa sœur Diane, grandirent donc au sein du château de Coeuvres. Gabrielle était une belle jeune fille « blonde, dorée, d’une taille admirable, d’un teint d’une blancheur éclatante » selon Mademoiselle de Guise, et même au cœur de la Picardie, difficile de ne pas la voir. Un homme la remarqua : Roger de Saint-Lary, comte de Bellegarde et Grand Ecuyer de France, ancien mignon d'Henri III, il était plutôt beau gosse et leur rencontre fut presque une évidence entre ces deux gravures de mode de l'époque. En 1590, la belle avait dix-sept ans, lui dix de plus et chacun s'éprit de l'autre avec passion. Le couple pensa même à se marier !

Gabrielle d'Estrées par Zéphirin Belliard et Daniel Dumonstier,
19e siècle (Château de Pau)


Pourquoi le destin s'en est-il mêler ? La vantardise bien sûr ! Bellegarde était fier de sa belle qu'il gardait pourtant cacher, mais se confia au roi Henri IV qu'il avait sans doute la plus belle femme du royaume. Curieux, le roi Henri voulut voir qui était celle qui tournait la tête à son Grand Écuyer et voulut la rencontrer à Compiègne. Ah oui, à ce moment là, on était en plein siège de Paris, Henri IV essayer de reconquérir la capitale, mais non, là il allait voir à quoi ressemblait la maîtresse de son pote, normal. Surtout qu'il tomba immédiatement amoureux de la belle Gabrielle d'Estrées. Et comme il était le roi et avait autorité sur tout, il demanda à Roger de Bellegarde de se retirer pour lui laisser le champ libre. Seulement, il y avait un obstacle : Gabrielle ne voulait pas du roi ! Elle aimait son Roger, voulait l'épouser et ne pas être une maîtresse de plus pour ce roi insatiable des plaisirs charnels, beaucoup plus vieux qu'elle et qui puait. Puisque la drague de lourdingue et les assauts répétés ne marchaient pas, Henri IV utilisa une autre technique : la vénalité familiale. Au père et à la tante de Gabrielle, il leur montra les avantages d'avoir une maîtresse royale dans leur famille. Et en février 1591, Gabrielle d'Estrées accepta sous la pression parentale.

Détail du portrait d'Henri IV, roi de France et de Navarre par Guillaume Heaulme
1610 (Château de Pau)
Vous allez me dire que cette histoire d'amour n'en est pas une, et au début, c'est vrai. D'ailleurs, il la maria et la fit divorcer dans la foulée pour qu'elle soit une femme libre et lui appartienne, qu'elle vienne le voir sur les champs de bataille … Il fallut du temps pour que Gabrielle s'attache à son amant, pas avant 1593 ! Là, elle le voit sous un nouveau jour, et espérait une nouvelle chose : devenir reine. Et pour cela, il fallait déjà se montrer féconde. Ca tombe bien, elle mit au monde trois enfants, dont deux fils, entre 1594 et 1598. La nouvelle favorite menait la grande vie grâce à tous les cadeaux de son sugar daddy : propriétés, titres (elle devient duchesse de Beaufort), bijoux, piécettes trébuchantes … Seulement, à part son amant, pas grand monde ne l'aimait et surtout pas le peuple qui la détestait, faisait courir des pamphlets sur elle.

Mais Henri IV n'en avait cure, et il avait un projet en tête : épouser sa concubine. On en a parlé plusieurs fois, le bonheur et l'amour n'entrent pas en compte dans un mariage d'aussi grande importance, on cherche à s'allier, à faire des pactes politiques et à faire des dynasties. Parfois, le couple s'entend bien, voire s'aime, et d'autres fois, non. Mais Henri IV ne pouvait pas oublier que Gabrielle d'Estrées lui a donné trois enfants et qu'il l'aime passionnément depuis toutes ces années. Pourtant, pour obtenir le consentement de l'annulation par le Pape et son épouse Marguerite, il fallait se montrer rusé, mais tout le monde n'était pas dupe « Le roi de France feint de vouloir épouser Marie de Médicis pour obtenir l'annulation de son mariage, mais dès qu'il l'aura obtenue, il épousera Gabrielle ». Scandale à la cour le 23 février 1599, Henri ôta l'anneau sacré de son couronnement pour la mettre au doigt de Gabrielle ! Un jour de Mardi-Gras en plus ! Et en plus, il dit solennellement son intention d'épouser sa maîtresse le premier dimanche après Pâques. Gabrielle, enceinte, jubilait de cette réussite envers et contre tous.

Mais vous avez vu la date dans le titre, vous savez que ça ne s'est pas fait. La « presque reine » avait tout préparé pour l’événement, de sa robe de mariage aux tentures pour ses appartements au Louvre.
Si le roi Henri voulait épouser sa maîtresse, la reine Marguerite faisait pression sur ce dernier : s'il continuait de vouloir se marier avec sa « putain », elle ne signerait rien. Gabrielle se montrait nerveuse, fatiguée d'avoir tant lutté conjuguée à cette grossesse. A l'annonce de Pâques, le confesseur du roi lui proposa de se séparer de sa concubine juste quelques jours, et leurs adieux furent déchirants « comme si tous les deux avaient eu le pressentiment qu'ils ne se reverraient plus ». Et ce fut le cas malheureusement.

Adieux d'Henri IV à Gabrielle d'Estrées, 18e siècle (Château de Fontainebleau)
Ce 6 avril 1599, elle dîna chez le financier Sébastien Zamet et prend un cedrat qui lui reste un peu sur l'estomac. Le lendemain, elle se sent mal, a chaud, puis est prise de convulsions avant de s'évanouir. Et pour Gabrielle d'Estrées, ce ne sera que douleurs à partir de ce jour, des convulsions atroces, et les médecins décidèrent de la faire accoucher, mais l'enfant est déjà mort. Tordue de douleurs, elle fit envoyer un billet à Henri IV pour qu'il la rejoigne puis progressivement la douleur empira : descente d'organes, perte de la parole, de la vue, de l'ouïe et sombra dans l'agonie avant de s'éteindre le 10 avril 1599 au petit matin. Si aujourd'hui, on est pratiquement sûr qu'elle fut victime d'éclampsie, on ne peut pas s'empêche de penser au poison, surtout que le financier Zamet était un proche des Médicis, réputé avoir le poison facile … Henri IV est dévasté par la mort de celle qu'il aimait et il écrit « Mon affliction est aussi incomparable que l'était le sujet qui me la donne. Les regrets et les plaintes m'accompagneront jusqu'au tombeau. La racine de mon cœur est morte et ne rejettera plus... » et fit organiser des funérailles royales pour sa « presque reine » et il porta le deuil en noir, ce qui est normalement interdit aux rois de France.

Gabrielle d'Estrées avait vingt six ans, sa jeunesse et un destin radieux devant elle, du moins le croyait-elle, et l'Histoire put retrouver un cycle plus classique. Henri IV accepta le mariage avec Marie de Médicis pour former la lignée des Bourbons que l'on connaît ...

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