Carlos 1e du Portugal
a vécu son règne dans la tourmente des révoltes, de la montée de
l'anarchisme, de la haine des monarchies. On pourrait croire le
Portugal tranquille, à l'abri des tourmentes européennes sur sa
pointe ibérique. Que nenni, à tel point qu'il a fait les frais de
la colère du peuple, ainsi que son fils, laissant la porte ouverte à
la révolution et à la chute de monarchie. Retournons ce jour-là,
sous le beau soleil lisboète de février 1908 …
La deuxième moitié du
19e siècle et jusqu'à la Première Guerre Mondiale, l'Europe
s'enflamme à tout bout de champ. La France avait déjà commencé
depuis 1789, mais a renversé plusieurs régimes en 1830, 1848 et
avec la Commune de 1870. Celle de 1848 a inspiré bon nombre de
voisins comme l'Autriche-Hongrie, l'Allemagne ou italienne, tout
comme celle de 1830 a inspiré les belges. L'Espagne aussi s'est
soulevée, les provinces italiennes se battent pour leur
indépendance, et ça continue encore et encore … Pourquoi ?
La Révolution industrielle a crée la classe ouvrière, une
façon de vivre et de pensée différentes, les idées républicaines
et socialistes naissent la plupart du temps dans ces milieux, une
envie de vivre mieux, ne pas se tuer à la tâche pour des élites,
au point d'utiliser la violence pour s'exprimer. Et quoi de mieux
pour se faire entendre et voir que de faire un coup d'éclat ?
Tuer une importante figure politique, voire même le « tyran »
permet de servir sa cause et de devenir un héros, puis un martyr vu
que l'assassin reste rarement en vie bien longtemps. Je ne vais pas
faire la liste complète mais quelques membres de la royauté ayant
fini assassinés : Alexandre II de
Russie en 1881, Élisabeth
d'Autriche (dit Sissi) en 1898, Humbert
1e d'Italie en 1900, François-Ferdinand d'Autriche
en 1914, Alexandre 1e de Yougoslavie en 1934, … Enfin, vous
avez compris.
Le Portugal, ce petit
pays si loin de l'agitation, pensait sans doute être tranquille,
loin de toute l'agitation européenne. Le roi Luis 1e et la
reine Maria Pia sont populaires, l'industrie se développe
lentement au Portugal, les investisseurs préfèrent courir la
fortune au Brésil, et se spécialise surtout dans le tabac et le
textile. Le parti républicain n'est crée qu'en 1871, il s'en prend
notamment à la monarchie qu'il accuse de dépenses folles, de
corruption et d'antipatriotisme, mais il reste peu entendu et
inoffensif. Le couple royal n'a que deux fils, et l'aîné Don
Carlos épouse en 1886 la princesse Amélie d'Orléans,
fille du prétendant au trône de France, cela marque une embellie
pour le royaume du Portugal, la dernière … Luis 1e meurt en
1889, et son fils devient Carlos 1e.
Il doit faire face à la pression de l'Angleterre, son alliée un peu
trop envahissante, au point de lancer un grand ultimatum en 1890,
demandant aux forces portugaises de se retirer de certaines
territoires africains au profit des britanniques. On va être clair,
l'Angleterre est une énorme puissant mondiale, avec la reine
Victoria à sa tête, le Portugal ne fait vraiment pas le poids
et se retire. Mais cela ne plaît pas aux portugais, ils manifestent
contre leur nouveau souverain, les journaux le descendent en flèche,
se montrent violent envers la monarchie. Autant dire que le règne de
Carlos 1e commence sous de
mauvaises augures.
Et cela ne va pas en
s'améliorant avec la faillite de certaines banques, l'augmentation
de la dette publique et aussi l’exode rural donnant des quartiers
précaires aux paysans venus dans les villes chercher du travail.
Pourtant, Carlos 1e tente de
faire sa place au soleil, voyage dans les différentes cours
européennes pour négocier des traités et alliances politiques
ainsi qu'économiques. Bon d'accord, il va surtout à Paris pour
visiter les bordels chics avec d'autres figures royales comme Édouard
VII d'Angleterre, mais passons. La tension monte au Portugal et
en 1906, le roi choisit João Franco
pour instaurer une sorte de dictature. Il dissout la Chambre une
première, puis une seconde fois sans annoncer de date d’élections
en 1907. C'est sans aucun doute le tournant fatidique pour la
monarchie car toutes les forces politiques se retournent contre
Franco, et donc contre le roi. Et c'est là que le point d'orgue de
la tragédie arrive …
Ce 1e février 1908,
la famille royale sort en carrosse découvert, ils rentrent de Vila
Viçosa et traverse le Terreiro do Paço – aujourd'hui la Praça do
Comércio – où il y a foule, comme souvent sur le passage de la
famille royale. Parmi eux, deux hommes, Marcel Buiça, un professeur
et Alfredo da Costa, agent commercial. L'un des deux s'accroche au
véhicule et tire deux coups sur le roi, mortellement blessé. Il ne
survivra pas. La reine Amélie,
un bouquet de fleurs dans les mains offerts durant son voyage,
s'interpose pour tenter de protéger ses deux fils, le
prince-héritier Luis-Felipe, 20
ans, et Manuel, 18 ans. Mais le
second sortit une carabine de dessous sa cape, vise Luis-Felipe et
tire deux coups à son tour. Un autre coup se fit entendre, blessant
le prince Manuel au bras. Tous les trois furent abattus sur le
champs par la garde. Le cocher emmena tout l'équipage de se cacher
dans l'arsenal non loin, mais le roi Carlos
1e était déjà mort, et le jeune prince ne tint que
quelques heures de plus.
Couverture du Petit Illustré du 16 février 1908 (Gallica BNF) |
Je laisse au Petit
Illustré du 16 février 1908 le dernier mot de l'histoire :
« L'
admiration, la pitié, le respect de tous vont à la pauvre reine
frappée doublement dans son coeur d' épouse et de mère. La nation
portugaise toute entière pleure avec elle, car si, à la suite de
mesures politiques dont les assassins ont tiré parti pour organiser
et perpétrer leur crime, la popularité du roi avait subi naguère
quelques atteintes, celle de la reine demeurait entière. »
Les corps du roi et du
prince sont exposés à l'église São Vicente, puis ils sont inhumés
dans la nécropole royale dans le même monastère. Malgré la
tension, les familles royales d'Europe se sont déplacées ou ont
envoyé un représentant, mais l'atmosphère reste lourde. Et elle
demeura ainsi jusqu'à la fin de la monarchie, le 5 octobre 1910,
jour où la république est instaurée. Les deux survivants de
l'attentat, le jeune roi Manuel II
et sa mère la reine Amélie sont
contraints de fuir, à Gilbratar tout d'abord (possession
britannique) puis au Royaume Uni, à Twickenham, où les Orléans
vivent en exil, puis la reine Amélie s'installe en France. Son fils
Manuel meurt sans descendance en 1932, et Amélie en
1951. Ils sont tous deux inhumés à São Vicente, auprès du roi et
du prince assassinés … Aujourd'hui, on peut voir une plaque sur la
Praça do Comércio relatant ce triste événement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire