Sculpture de Guy de Damartin (Palais de Justice de Poitiers) |
Beaucoup de choses ont
été dites sur Isabeau de Bavière, surtout des choses peu
reluisantes, plus ou moins à tort. Et le 19e siècle,
comme souvent, s’est amusé à réécrire l’histoire à la
manière qui lui convenait le plus, en créant des rumeurs
persistantes jusqu’à nous jours (Dumas, si tu nous lis, même si
tu n’y es pour rien ici). Personnellement, je l’ai connue surtout
à travers le château de Vincennes, et cette femme n’a pas besoin
qu’on lui rajoute quoi que ce soit : sa vie est suffisamment
bien remplie !. Alors quel est le mythe, quelle est la vérité ?
On va essayer de voir un peu tout ça.
Une enfance méconnue
Née Élisabeth von
Wittelsbach-Ingolstadt, on ne sait pas sa date exacte mais on
s’accorde sur l’année 1371, sans en avoir ni le mois ni le jour,
ça commence bien. Heureusement, on connaît bien ses parents !
Étienne III de Bavière vient de la grande famille de Wittelsbach,
la plus imposante famille des nombreux états de l’Empire, même
qu’un ancêtre fut empereur ! A cette époque, on se tourne
vers l’Italie pour se marier à de grandes familles et faire des
alliances. Et parmi elles, les Visconti, possédant entre autre
Milan. L’aînée, Taddea, épouse Étienne III fin 1366, et quatre
de ses frères et sœurs épouseront des germaniques. De cette union
naquirent Louis, futur Louis VII de Bavière dit le Barbu, et
Élisabeth, dit Isabeau, future reine de France.
On sait peu de choses
sur son enfance. Sans doute grandit-elle au Ludwigsbourg, le château
de Munich. Elle perd sa mère alors qu’elle a dix ans, et son père
se remarie avec la fille du duc de Clèves, nommée Élisabeth aussi,
mais ce mariage n’aura aucune descendance. On sait qu’elle est
instruite puisqu’elle sait lire les livres d’heures, écrits en
latin, qu’elle reçoit une éducation très pieuse, qu’elle a une
passion pour les fleurs et les oiseaux. Point. Heureusement qu’elle
est devenue reine de France car sinon, elle serait tombée dans
l’oubli, épousant un prince allemand comme certaines de ses
cousines, et vivant un destin classique d’épouse. Heureusement que
l’histoire s’en est mêlé, ou pas. Mais comment une petite
bavaroise devient-elle reine ? Il faut dire que les conjonctures
politiques jouaient en sa faveur. Car en France, à cette époque, le
roi Charles V, dit Le Sage, vivait ses derniers instants. Lui qui
avait amassé les richesses, repoussé les anglais grâce à son
connétable Bertrand du Guesclin, se mourrait au donjon de Vincennes.
Mais avant, il avait prodigué un sage conseil à son fils, Charles :
« Puisque c’est la guerre et que le roi d’Angleterre,
Richard II, est marié à la fille de l’empereur du Saint Empire
Romain Germanique, il serait bon, mon fils, que vous aussi vous
épousiez en Allemagne ». Papa avait aussi des intérêts
dans l’histoire puisque sa propre mère était Bonne du Luxembourg
(pas de blague, s’il vous plaît).
Ses premiers pas de reine de France
Plusieurs prétendantes
se présentaient pour devenir reine de France, selon les volontés
des oncles du nouveau roi, et régents du royaume : Élisabeth
donc, mais aussi la fille du duc de Lorraine et celle du duc
d’Autriche, deux familles que l’on trouvait plus prestigieuse que
les Wittelsbach. Pour départager, on envoya un peintre dans chacun
de ses états pour coucher sur la toile le portrait de la candidate.
A cette première étape, Charles VI eut une préférence pour
Élisabeth, pourtant pas d’une grande beauté, mais sans doute d’un
charme et d’un aura incroyable, même à travers une peinture. Pour
que le roi se décide vraiment, la jeune fille, âgée de quatorze
ans, fut envoyée en France, officiellement en pèlerinage, mais
apprit chez la duchesse de Hainaut le maintien, et aussi la mode
française ! La base pour un pèlerinage. Le 15 juillet 1385,
elle arrive à Amiens où se trouve le roi, âgé de seize ans. Elle
lui plaît immédiatement, il est envoûtée par cette adolescente
qui ne parle pas un mot de français, mais dont le corps parle pour
elle. Charles VI, tellement envoûté par la bavaroise, veut se
marier à Amiens dans les trois jours, malgré l’insistance de son
oncle bourguignon, qui voulait l’union à Arras. Mieux, il refuse
la dot d’Étienne III et le cadeau de mariage de l’oncle
d’Élisabeth. Si ce n’est pas de l’amour …
Mariage 3 jours plus
tard, à Notre Dame d’Amiens, la jeune femme arrivée à la
cathédrale accompagnée des duchesses de Brabant, Hainaut et
Bourgogne, parée comme une grande dame, est prête à devenir reine.
Et qui dit mariage, dit grande fête. Sauf qu’en trois jours,
difficile de rameuter la foule et faire de grandes préparations. Et
puis le roi, maintenant qu’il est marié, ne veut qu’une chose :
faire la connaissance de sa nouvelle femme, bibliquement parlant.
Alors on hâte le repas et on procède au coucher. Pour l’anecdote,
la seule condition d’Étienne III est qu’on ne procède pas à
l’examen pré-nuptial de sa fille, de peur d’un renvoi en
Bavière, doublé d’une humiliation. Vous imaginez, des inconnues
découvrent que votre fille a batifolé dans le foin ou a une
mauvaise déformation, c’est la honte à l’échelle européenne ,
et après elle n’est bonne qu’au couvent ! En tout cas,
Charles VI ne lui a trouvé que des qualités après cette première
nuit. Mieux, il décide de lui changer son nom. Adieu Élisabeth et
bonjour Isabeau !
Le jeune couple s’adore
et se le montre à toute occasion. Isabeau suit son époux dans la
plupart de ses campagnes, et les époux se font de nombreux cadeaux.
Tout ce que Charles VI offre, que ce soit une selle de palefroi, des
bijoux somptueux, de la riche vaisselle ou des vêtement, tout est
orné avec les chiffres de deux jeunes gens, entrelacés. Jusqu’aux
jarretières ! Charles appose sa marque sur le corps de sa
femme. Cette dernière aimait à combler son jeune mari de bijoux
mais aussi de tableaux. Et quand ils ne sont pas ensembles, ce ne
sont que longues lettres enflammées, montrant toute leur impatience
de se revoir. Pourtant, malgré toute l’affection qu’il a pour sa
belle, Charles n’est pas fidèle, bien au contraire. L’homme est
doté d’une ardeur quasi-pathologique et va courir la gueuse dès
qu’il en a le temps. De toute façon, elle ne tardera pas à faire
de même, au moins sont-ils quitte là-dessus. En attendant, le
couple est fécond car la première grossesse se développe début
1386, et un premier enfant naît le 25 septembre, mais mourut trois
mois plus tard. Le seconde grossesse connut le même sort, la petite
fille décéda à l’âge de deux ans ; en six ans, Isabeau
connaîtra cinq grossesses, dont seulement deux viables :
Isabelle, qui sera mariée à Richard II d’Angleterre, et Jeanne,
future duchesse de Bretagne. Les sept autres enfants arriveront tous
entre 1393 et 1407, Isabeau sera donc enceinte jusqu’à l’âge de
36 ans, ce qui est déjà âgé pour l’époque, autant dire que la
nana est coriace ! Mais sur ces sept dernières grossesses,
quatre seulement vivront jusqu’à l’âge adulte, dont Catherine
et le dauphin Charles, dont nous reparlerons plus tard.
La jeune reine s’installe
donc au manoir de Beauté près du château de Vincennes, qui n’existe
malheureusement plus aujourd’hui, mais des traces d’une construction existent toujours. C’est
là qu’elle mit au monde ses deux premiers enfants. Elle se confine
volontairement, aime la vie de château et le luxe. Il faut savoir
qu’à l’époque, le château de Vincennes était au cœur de la
forêt, que Paris était bien plus loin qu’à l’époque, c’était
vraiment la campagne, idéale pour aller chasser, et suffisamment
fortifié en cas d'attaque. Oui, n’oublions pas que nous sommes
toujours en pleine Guerre de Cent Ans, les anglois voulant
s’approprier le royaume de France, mais ils furent repoussés sous
le règne de Charles V, grâce à son connétable Bertrand du
Guesclin, aussi efficace que laid
Voulant toujours le
meilleur pour sa femme, Charles VI veut que le couronnement de son
épouse soit dans la tradition des anciennes reines, et mieux encore.
C’est ainsi que le dimanche 20 août 1389, Isabeau partit de Saint
Denis pour se rendre à Notre-Dame. Tout le long du parcours ce ne
fut qu’acclamations, louanges, tout le monde avait mis ses plus
beaux habits, parisiens comme le cortège, avec des litières
richement décorés, des tenues somptueuses brodées et des bijoux
indécemment brillants, si bien qu’on aurait pu sans doute nourrir
la capitale avec une seule parure ! Le roi ne se trouvait pas
dans le cortège, attendant sa femme, mais eut soudain l’envie de
la voir au milieu de la foule. Et voici le roi et un de ses
conseillers, Savoisy, partirent sur un chevalier, habillés
simplement jusqu’au Châtelet où le cortège allait arrivé. Mais
les gardes, prenant bien soin de ne pas avoir de débordements,
empêchèrent les cavaliers de s’approcher plus. Et comme ils ne
reconnurent pas leur roi, ce dernier se prit des coups de bâtons
pour reculer, comme tous les autres. Pour une fois qu’il y a une
justice égale pour tous … Enfin, passant le Grand Pont de Paris,
un dernier spectacle : un équilibriste (ou un fou, au choix),
partit du haut de la tour de Notre Dame jusque de l’autre côté de
la rive, tenant deux cierges dans les mains, si bien qu’on le
voyait dans tout Paris (qui n’était pas si grand) et au-delà. !
Enfin c’est bien gentil tout ça mais la nuit tombe et madame n’a
toujours pas sa couronne sur la tête. Ce fut chose faite, mais elle
ne fut qu’officiellement sacrée et ointe que le lendemain, à la
Sainte-Chapelle. Que d’aventures pour devenir vraiment reine !
Sans parler de la fête donnée au Palais entre les deux, puis après
le sacrement, puis pendant plusieurs jours avec spectacles, bals et
tournois. On savait s’amuser à l’époque, le Moyen Âge n’est
pas si austère !
Entrée d'Isabeau dans Paris (British Library) |
Durant toutes ces années,
Isabeau a assez peu de pouvoir politique et mène une vie oisive
entre ses grossesses, les fêtes somptueuses, entre le manoir de
Beauté à Vincennes et l’hôtel Saint-Pol, où elle mène grand
train ! Tout bascule en 1392, marquant un tournant dans le règne
de Charles VI : l’arrivée de sa folie. Et ce ne sera pas une
sinécure jusqu’en 1422 … Le 4 août 1392, le roi se trouve dans
la forêt du Mans, à peine remis d’une forte fièvre l’ayant
cloué au lit près de 3 semaines. Déjà là, ça ne sent pas super
bon. Passant près d’une léproserie, Charles VI croise un malade
aux mains rongées, lui hurlant qu’il est trahi par les siens !
En temps normal, personne n’aurait cru un lépreux sans doute à
moitié dérangé, mais le monarque se sent comme hypnotisé par les
paroles du malade. Et à cet instant, un page fit malheureusement
tombé sa lance sur le casque d’un de ses collègues. Le bruit fit
sursauter le souverain qui tira l’épée de son fourreau et
l’enfonce dans le premier venu et continue de même, à
cheval, à embrocher ses soldats en hurlant « vous voulez me
livrer à mes ennemis » Coup du sort ? Plutôt
déséquilibre familial avec plusieurs cas de démence, comme sa mère
Jeanne de Bourbon, et consanguinité à foison. En tout cas, il
laisse derrière lui blessés et cadavres de sa propre garde, et doit
tenir le lit pendant plusieurs jours. Ce sera la première d’une
longue série, il lui arrivera par plusieurs fois d’oublier qui il
est, persuadé de ne pas s’appeler Charles, de ne pas être marié
et encore moins roi de France. Ambiance donc ! Et au fil du
temps, cela ne fit qu’empirer, et si Isabeau, toujours éprise,
continuait à se donner aux devoirs conjugaux, elle devint de plus en
plus hostile à ce roi fou, puant et pleins de poux. Au point qu’elle
consentit à lui donner une maîtresse, afin de s’en délivrer !
La régente versatile et cupide
Puisqu’il fallait
quelqu’un pour régner sur le royaume, un conseil de régence
composé par les oncles du roi fut crée. Isabeau n’avait pas la
fibre politique, surtout qu’une querelle entre Armagnacs et
Bourguignons crée des tensions. Isabeau soutient un temps les
bourguignons avant de retourner sa veste, prenant en même temps
Louis d’Orléans pour amant. Pour la petite histoire, on pense que
le dernier enfant royal, Philippe, né en 1407 est un enfant
adultérin. Pire encore, merci le XIXe siècle pour aimer réécrire
l’histoire, Pierre Caze sort une histoire digne d’un mauvais
roman historique (et il y en a beaucoup) : ce petit Philippe,
n’ayant survécu que quelques jours ne serait pas mort, et il
serait une fille ! Mais pas n’importe qui : Jeanne
d’Arc ! Ce monsieur Caze est un petit facétieux car si l’on
en croit le procès de la Pucelle d’Orléans (en l’honneur de la
ville qu’elle a défendu, et pas par rapport à son soi-disant
père), elle avait 19 ans en 1431. Cela la ferait naître en 1412,
cinq ans après la naissance du petit garçon et la mort du duc
d’Orléans. Alors soit la Pucelle ne savait pas compter, soit il y
a de la sorcellerie. Ou mieux, de la connerie. Oui c’est bien ça,
la connerie.
Si la reine prend sans
doute pour amant l’homme le plus puissant du royaume, les deux
rivalisent de richesses à la Cour, au point que Jacques Legrand,
moine augustin, a décidé de prêcher devant la reine l’Ascension
1405. Il faut l’avouer, Isabeau aime le luxe, les bijoux et les
beaux vêtements, et comme une souveraine se doit être la vitrine de
ce qui est à la mode, tout le monde la suite : nouvelle mode,
nouvelles coiffures et de plus en plus de peau montrée : la
gorge, les épaules et même une sacrée échancrure entre les seins.
Le moine lui dira « La déesse Venus règne seule à votre
cour ; l’ivresse et le débauche lui servent de cortège. »
Il n’y va pas par quatre chemins, le tonsuré. Et pendant que le
roi apprécie la franchise, la reine se montre fortement mécontente,
chasse plusieurs personnes de sa Maison et en mit certains en prison.
Autant dire qu’il ne fallait pas la faire chier.
Mais il n’y a pas que
la fête et la mode dans la vie, et Isabeau dut bien faire des
efforts en politique. Sa grande préoccupation fut son bien
personnel, où on lui attribua l’hôtel Barbette pour vivre
convenablement si le roi venait à mourir, ses enfants, qu’ils
soient bien nourris et traités, et régler la querelle entre le duc
de Bourgogne, Philippe le Hardi, et le duc Louis 1e
d’Orléans. Ce fut long mais la question était (temporairement)
réglée en 1402. Son rôle de médiatrice la fait entrer sur la
scène politique. Elle a 30 ans et même le roi, sans doute conscient
de son état, lui donne les pleins pouvoirs de décision si lui ne le
peut, ce qui arrive de plus en plus souvent. Isabeau se montre très
intéressée sur la politique extérieure, cherchant à favoriser sa
famille, Wittelsbach et Visconti, mais aussi à marier ses enfants.
La première à en bénéficier fut son aînée Isabelle, qui épousa
Richard II d’Angleterre, à l’âge de 7 ans, lui en a presque 30.
Elle aida aussi son père dans différentes affaires familiales, avec
le soutien de Philippe le Hardi et son époux. En 1404, une grande
épidémie se répendit sur la France, et le duc de Bourgogne n’y
échappa pas. Si ce dernier tempérait la reine, celle-ci se sentit
plus libre de gouverner comme bon lui semblait en compagnie de Louis
d’Orléans, de dépenser en d’incroyables fêtes mais surtout
s’en mettre pleins les poches. Rien de bien reluisant. On vécu un
nouveau tournant dans la monarchie, du moins pendant un temps. Car la
querelle avait repris, et 23 novembre 1407, alors que Louis d’Orléans
sortait de chez la reine à l’hôtel Barbette, il se fit assassiner
sur ordre du nouveau duc de Bourgogne, fils du précédent, Jean Sans
Peur. La vengeance doit être génétique ou alors super, les enfants
hyper conditionnés à haïr les ennemis des parents.
La popularité d’Isabeau
déclinait : en prenant le parti des Armagnacs, elle avait
attisé la colère des Bourguignons, les divers rumeurs à son sujet
couraient. On l’appelait la Grande Gaure, persuadée de son grand
nombre d’amants et que son hôtel de Barbette n’était qu’un
lupanar géant. Elle vit deux dauphins mourir à une année d’écart,
en 1416 et 17. De plus, ses nombreuses grossesses et son train de vie
lui avaient donné un très fort embonpoint, la jeune femme charmante
arrivée en France avec sa peau pâle et ses cheveux noirs n’existait
plus. La cerise sur le gâteau, le parti bourguignon envisageait de
la tuer et elle dut se réfugier en avril 1417 dans la grosse tour du
Louvre (qui n’existe plus, sauf dans les sous-sols du musée) avec
le roi et les princes. Elle se retira à Vincennes où elle vécut
avec une petite cour, protégée par des chevaliers débauchés.
Autant dire qu’un baisodrome n’aurait pas été moins
scandaleux ! Pire encore, un de ses amants, Louis de Bourdon,
manqua de respect au roi, en ne le saluant pas. Pas de bol, Charles
est assez lucide pour prendre une décision : arrêté,
questionné puis reconnu coupable, on mit l'amant dans un sac de cuir
et jeté à la Seine avec la mention Laissez passer la justice du
roi. Lui aussi, faut pas l'emmerder. Puis, sur ordre de son époux,
Isabeau dut partir pour Blois, puis pour Tours avec seulement
quelques dames et serviteurs.
Puis nouveau coup de
théâtre ! Enfermée à Tours, elle dut admettre qu’il
fallait s’allier à l’homme le plus puissant du royaume, le duc
de Bourgogne. Il était le seul à pouvoir la faire sortir de là.
Les deux conclurent un traité d’alliance et veut reprendre son
pouvoir, faisant abstraction que Charles VI a transféré les
pouvoirs à son fils Charles, son dernier héritier, âgé de 14 ans.
Cette réconciliation allait en contradiction avec les envies du
dauphin Charles, n’appréciant pas que sa mère s’octroie des
pouvoirs, ni que l’homme le plus puissant de France soit simplement
le duc de Bourgogne. Après que les deux hommes se soient réconciliés
en juillet 1419, ils devaient se rencontrer à Montereau, mais la
réconciliation tourna purement et simplement au meurtre. Si l’on
accusa longtemps le dauphin de cet affreux assassinat, on sait que
c’est Tanneguy du Châtel, prévôt de Paris, qui porta le coup
fatal. Mais ce tragique événement précipita la France dans un de
ses plus grand tourment : avoir failli devenir anglais.
On dit souvent qu'Isabeau
a mis de côté son fils, reconnu comme criminel et destituer de son
statut, devenant le « soi-disant dauphin » (super surnom)
et qu'elle aurait donné la France aux anglais. En fait, c'est
Philippe III de Bourgogne, fils de Jean Sans Peur, qui négocie un
traité avec Henri V d'Angleterre. C’était simple : Henri V épousait
Catherine de Valois, princesse de France, et annexerait la France au
royaume d’Angleterre à la mort de Charles VI. Celui-ci, fortement
malade le 20 mai 1420 signa sans rechigner. Pratique d’avoir un
malade avec beaucoup de pouvoirs et/ou d’argent, c’est une
pratique courante, utilisée encore par quelques présidents du XXIe
siècle … Si elle a finalement consenti, Isabeau avait tout de même
tenté de recontacter son fils. Pour faire simple, la cupidité bien
connue de la reine avait conduit à accepter ce traité, sachant
qu’elle serait sans doute mieux traitée par son gendre anglais que
par son fils qui lui reprochait de prendre le parti bourguignon.
Traité de Troyes (Archives Nationales) |
Une fin de vie dans l'oubli
Il fallait maintenant que
Charles VI crève. Henri V s’était installé au donjon de
Vincennes avec sa nouvelle épouse et attendit la mort de beau-papa
pour poser la couronne sur la tête. Isabeau vit entre l’hôtel
Saint Pol et Vincennes, assez recluse, tout le monde semblait
attendre la mort du roi. Mais pas celui qu’on attendait : en
effet, Henri V décéda le 31 août 1422, laissant derrière lui un
seul fils, désormais Henri VI, âgé de 10 mois. Charles VI, quant à
lui, passa l’arme à gauche que le 21 octobre de la même année.
L’héritier anglais, bien que portant les titres de roi
d’Angleterre et de France, ne pouvait prétendre à quoi que ce
soit. Ce fut un nouveau tourment pour la France, les anglais
voulaient ce qui avait été convenu et le dauphin, désormais
Charles VII allait se battre pour la reconquête de son royaume.
L’épisode Jeanne d’Arc, tout ça, … mais ceci est une autre
histoire. Et Isabeau ? Abandonnée, il lui restait 13 ans à
vivre, dans son hôtel Saint-Pol, occupant son temps à la gestion de
sa fortune et de ses biens, notamment ses territoires en Bavière et
surtout les revenus qui en découlaient, mais les guerres en Bavière
à ce moment l’empêchaient d’empocher le pactole. Elle n’avait
plus aucune influence sur les deux possibles rois de France, ni son
fils, ni son petit-fils anglais. Elle mourut dans l’indifférence
totale, le 29 septembre 1435, à l’âge de 64 ans. Ses serviteurs
attendirent trois jours avant de transporter son corps à Notre Dame,
où son corps fut exposé aux parisien. Elle fut conduite ensuite à
Saint-Denis par voie navigable, et non par la route de Saint Denis
avec grand cortège, et reposa aux côtés de son mari et de leurs
enfants décédés.
Si Isabeau a laissé une
mauvaise image, c’est qu’on a pris les sources de ses
détracteurs, et que le XIXe siècle a toujours fait mal aux
réputations des mal aimés. Isabeau n’était pas parfaite, femme
cupide, un peu versatile sur son comportement et ses choix
politiques, mais on n’avait jamais appris à une petite bavaroise à
vivre avec un fou, faire l’arbitre pour les deux familles les plus
puissantes du royaume, ni gérer une guerre qui a duré cent seize
ans. En tout cas, elle nous a prouvé qu'on savait s'amuser à cette
époque, avec ces fêtes somptueuses, et ces nombreux amants …
Je ne sais pas si tu l'as lue, mais je te conseille la biographie de Philippe Delorme chez Pygmalion. L'historien reprend le dossier, un peu comme l'a fait Colette Beaune pour Jeanne d'Arc et déconstruit totalement le mythe et la légende noire d'Isabeau de Bavière. Elle nous apparaît alors bien mieux, plus humaine, démunie aussi, devant assumer la régence d'un pays dont elle parle mal la langue lors d'une période particulièrement compliquée. Elle a fait des erreurs mais qui n'en fait pas ? Je suis ressortie de cette lecture avec une vision bien plus objective du personnage, plus proche aussi, certainement, de ce que fut la réalité historique !
RépondreSupprimerTon article le démontre aussi très bien, d'ailleurs !