Aujourd'hui, on repart en
visite en direction du Moyen Âge. Durant mes vacances dans le Sud,
j'avais comme toujours envie de visite et il fallait allier cela à
la météo. Avec le vent des Pyrénées Orientales, la fraîcheur
d'une construction médiévale et l'intérêt de cette bâtisse
impressionnante, elle fut désignée grande gagnante ! Il faut
dire que depuis mon emploi à Vincennes, j'ai une petite passion pour
l'architecture médiévale assez massive, ce qui est en totale
opposition avec mon amour du luxe et de l'opulence des châteaux
modernes. Enfin bref, retournons au XVe siècle dans cette forteresse
quasi-imprenable à l'espagnole. Allez, suivez moi …
Historique de la forteresse
Tout commence sous la
période des rois Catholiques en Espagne, au XVe siècle. Voulant
protéger la frontière fragile entre la France et l'Espagne,
Ferdinand II d'Aragon (1452-1516) et Isabelle 1e de
Castille (1474-1504) décident de la construction d'une
forteresse. Celle-ci émerge rapidement et une grande partie est
construite entre 1497 et 1504, face au fort français de Leucate.
L'architecte, Francisco Ramiro López, s'inspire du tracé à
l'italienne pour donner de la modernité aux structures médiévales
qui commencent à devenir obsolète. Mais en 1503, les
français attaquent déjà leurs ennemis, dans une forteresse non
terminée. Il s'agit pourtant d'une victoire espagnole : ils ont
fait explosé la première mine de guerre, faisant plusieurs
centaines de morts. Il n'empêche que grâce à cette attaque,
l'architecte put modifier ses plans et renforcer la défense.
On parle quand même d'un
bâtiment rectangulaire de 115m de long pour 90m de large avec une «
fortification semi-enterrée et à tirs rasants », des murs très
épais, entre 6m et 15m selon où l'on se trouve. Le plus épais se
trouve au niveau des fondations. On creuse des douves si profondes
que seule la partie supérieure de la forteresse est visible dans le
paysage, on crée un réseau d'évacuation de la fumée provoquée
par l'artillerie (une nouveauté à l'époque) grâce à de nombreux
puits et systèmes souterrains, il y a de nombreuses tourelles et des
meurtrières un peu partout, si bien qu'on peut défendre par tous
les côtés, même côté espagnol, c'est dire ! En même temps,
on pouvait y trouver jusqu'à 1500 hommes et 300 chevaux, autant
avoir une protection digne de ce nom, surtout à un poste de
frontière.
Plan de 1725 (Gallica) |
C'est aussi dans la
forteresse que Charles Quint (1500-1558) et François 1e
(1494-1547) signent un énième accord de paix, qui ne se tiendra
qu'à moitié vu que les deux hommes ne s'aimaient pas et François
1e avait plus l'air d'un troll professionnel que d'un roi, mais ce
n'est pas la question. La forteresse reste relativement tranquille
durant le XVIe siècle et une partie du XVIIe, jusqu'en 1639. A
partir de là, la France a une obsession évidente de reprendre le
Roussillon (donné par Charles VIII en guise de libération à
Ferdinand II d'Aragon, autant dire que c'était pas un cadeau
d'anniversaire.) et de montrer la supériorité de la France face à
une Espagne déclinante (et consanguine, mais ce n'est pas le souci).
Le 20 juillet 1639, après quarante jours de siège, la
forteresse tombe entre les mains des français commandées par le
prince de Condé, Henri II de Bourbon, et le maréchal de
Schomberg, gouverneur du Languedoc. Seulement, pas malin les
français, ils n'ont pas démantelés leurs ouvrages crées pour le
siège, et ils n'ont pas prévu de grandes réserves. Alors quand les
espagnols reviennent plus nombreux le 1e septembre, le siège va être
long, très long, jusqu'au 6 janvier 1640 où, affamés, les
français sont obligés de se rendre, avant de la reprendre en 1642.
Mais le traité des Pyrénées, mettant fin à la guerre
franco-espagnole, met fin aux prétentions de la forteresse. Ce
traité décide de la paix, du mariage de Louis XIV (1638-1715)
et de l'infante Marie-Thérèse d'Autriche, mais aussi le
rattachement du Roussillon à la France. Salses, à une quarantaine
kilomètres de la frontière, devient totalement obsolète.
Vous voyez la colline sur la photo du haut : c'était la frontière française lors de la construction. Sur la photo du bas, vous distinguez le Pyrénées au loin, la frontière actuelle. |
On pense à la raser,
mais plus intéressant, on en fait une prison. Vu l'épaisseur des
murs les couloirs interminables, difficile de s'échapper d'ici.
Durant l'hiver 1682-83, dix-neuf prisonniers, condamnés par
la Chambre Ardente. Parmi ce petit monde : l'avocat Jean Terron
de Clausel et Rabel, amis de La Voisin ; La Coudraye (dit
Laboissière), amant de la Filastre … La plupart avaient des
secrets impossibles à divulguer, et se trouvaient plus ou moins
mêlés à Madame de Montespan. Rappelez vous que la fille de La
Voisin avait donné le nom de la marquise de Montespan parmi les
dames de qualités qui faisaient appel aux poisons et au diable. Au
bout de trois ans de surveillance assez relâche, les prisonniers
décidèrent de s'enfuir. Dans la nuit du 14 au 15 juillet 1686,
dix sept détenus s'évadèrent. L'un d'entre eux, Rabel, ne partit
pas avec eux, et prévint même la garde ! Les évadés furent
retrouvés à quelques lieues de là, et furent enchaînés dans leur
cachot … muré. Ils avaient un « lavabo » qui leur fournissait de
l’eau ainsi qu’un petit trou pour l’arrivée d’air, mais
aucune nourriture. Le docteur Rabel (le délateur) raconte qu’il
entendait leurs cris malgré l’épaisseur des murs, et ceci pendant
plusieurs semaines. Cannibalisme ? Peut être. Toujours est-il
qu'on ne redécouvrit les squelettes qu'en 1936 …
Pour revenir un temps
plus joyeux, la forteresse fut inscrite aux monuments historiques en
1886.
Récit de la visite
La visite est découpée
en deux : la visite libre du rez de chaussée et de la cour et
la visite guidée pour les terrasses, les parties hautes et surtout
le donjon. La visite guidée est indispensable car sinon vous ratez
le gros de la forteresse et ce serait dommage de dépenser 7,5€
pour trente minutes dans une cour.
La cour dessert tous les
bâtiments l'entourant, la visite est assez intuitive et il y a très
peu de risque de se perdre. On y voit tout d'abord un petit musée
avec des fouilles archéologiques, où on a retrouvé des objets du
17e siècle. Armes bien sûr, mais aussi des jeux : dés,
osselets, dominos, morpions ou jeu de l'escampissade. Qu'est ce que
ce jeu ? Hé bien on trace un cercle de 80cm au sol, en son
milieu se trouve une pyramide de noyaux d'olives (on fait avec ce
qu'on peut). Les joueurs placés autour font tournoyer, à tour de
rôle, un morceau de poterie accroché à un cordon dans le but de
démonter la pyramide, noyau par noyau. Youhou ! Les pauvres
espagnols enfermés ici, sans nanas ni alcool (réservés aux
officiers et au gouverneur), on fait comme on peut, et les journées
doivent être bien longues.
Des autres bâtiments, on
peut visiter les écuries, qu'il faut descendre pour se retrouver
presque dans le noir. Pour animer tout cela, une exposition d'art
contemporain y est installée, d'Ange Leccia, une artiste corse et on
peut admirer ses différentes vidéos « La Mer », « Orage A, Orage
B » et
« Nymphéa » (avec
Lætitia Casta en guest dans la dernière). Entendre et voir l'orage
dans ces endroits sombres avait un côté inquiétant, mais aussi
fascinant. Vous le découvrirez, je ne suis pas une grande fan d'art
contemporain en règle générale, mais cela avait rendu intéressant,
et envoûtant. J'ai bien dû rester plusieurs minutes à observer
Lætitia Casta sous l'eau telle une sirène.
Vue du donjon depuis la cour ; vue d'ensemble de la cour et du corps de logis ; Le chat du château :) et fouilles archéologiques des jeux d'époque |
On peut aussi admirer le
rez de chaussée des logis (sur les trois étages) et aussi le
réduit, au pied de la forteresse où l'on peut admirer la
boulangerie, les cuisines, l'arsenal. Ce dernier était séparé du
reste des bâtiments par un fossé intérieur. Dans le cas où les
ennemis arrivaient, on pouvait s'y retrancher, avec la nourriture et
les armes. Petite anecdote amusante, dans ce fossé intérieur se
trouvait un chat. On avait vu l'animal à l'extérieur, puis se
balader là comme chez lui. Je pense qu'il appartient à la
forteresse (un peu comme le chat du château de Vincennes) mais il se
sentait comme chez lui en tout cas !
On peut aussi visiter une
chapelle, dédiée à Saint Sébastien, et bien sûr la cour en
elle-même, appelée place d'armes, permet d'avoir une belle vue de
l'ensemble de la forteresse, avec en son centre un puits. Il y a
environ quatorze puits à l'intérieur, mais la plupart servent à
refroidir les canons, tandis que celui-ci servait vraiment à puiser
l'eau pour les chevaux et les hommes. Un puits pour tout ce monde, il
fallait pas avoir soif toutes les heures !
Un fois ce petit tour
terminé, l'autre partie se fait en visite guidée, sans doute pour
des questions de sécurité, car il n'y a pas vraiment de sortie de
secours, les couloirs sont étroits et je pense que des gens peuvent
s'y perdre (genre moi). On ne visite que les parties dites hautes :
les terrasses, une tour d'artillerie et le donjon. Mais il y a à
voir ! Des terrasses, on peut se rendre compte de la proximité
de la frontière française, et donc du point stratégique de Salses.
Il n'était pas con l'Aragon, lorsqu'il l'a fortifié ! En tout
cas, la vue sur les Pyrénées (donc la frontière actuelle) est
superbe. Par contre attention au vent ! N'y allez pas en jupe,
comme moi … #boulet
Après ce bol d'air
frais, place aux couloirs étroits et sombres. Si on ne se trouvait
pas dans un fort militaire, j'aurais pensé qu'on allait dans un
coupe-gorge. Pour les plus grands il faut se baisser, l'endroit est
vraiment petit, très pratique en cas d'invasion. Hé oui, si les
français arrivaient, ils ne pouvaient entrer qu'un par un dans le
couloir, ce qui ralentissait l'avancée ! On arrive donc dans
une tour d'artillerie où se trouve en son centre un conduit central
un peu à tout faire. Au fond, il y avait bien sûr un puits pour
l'évacuation des fumées, mais cela servait aussi de monte-charges
pour les armes et munitions, mais pour donner des ordres le plus
rapidement possible, sans envoyer un soldat courir dans ces petits
couloirs. Il n'y a pas à dire, tout était bien pensé pour être
rapide et efficace en cas d'attaque !
L'étroitesse des couloirs ; vue du puits à l'intérieur de la tour ; Salle à manger dans le donjon avec cheminée, évier et alcôve. |
On accède enfin au cœur
de la forteresse : le donjon, dite la tour de l'Hommage. C'est
aussi l'habitation du gouverneur et lieu de décision du corps
officier. Malgré l'aspect massif du bâtiment, on y retrouve tout le
confort moderne de l'époque avec de larges cheminées, des éviers
(sans eau courante mais n'oubliez pas, il y a un puits ! ),
monte-charges (pour l'eau du puits et aussi la nourriture), des
latrines avec un tout-à-l'égout, des fenêtres avec des bancs
latéraux. On y trouve aussi le garde-manger, très pratique en cas
de siège, et une grande salle à manger pour des réceptions. On
peut être gouverneur de forteresse et avoir une vie sociale. Mais
puisqu'il s'agit avant tout d'un bâtiment défensif, on retrouve des
embrasures de tir, avec des grilles d'aération, en cas d'attaque sur
trois étages.
Au rez de chaussée, on
nous montre une des rares cellules conservée ici. Comme beaucoup de
forteresses (Vincennes par exemple), on les a transformées en
prison, et je peux vous dire qu'être enfermé là, ça ne devait pas
être une partie de plaisir ! Comme je vous l'ai expliqué
précédemment, il s'agissait de prisonniers de l'Affaire des
Poisons, qui ont fini par être emmurés vivants. La note se termine
assez peu joyeusement à dire vrai … Heureusement qu'il y a
toujours le plaisir de passer le pont-levis et de découvrir la
boutique. Par manque de chance, la carte bleue ne marchait pas et
j'avais peu d'espèces (l'homme de compagnie, n'en parlons pas) mais
il y avait beaucoup d'ouvrages sur le Moyen-Âge dont j'ai noté les
références pour agrandir le nombre d'ouvrages à lire un jour !
Mon avis
C'est un très bel
endroit, j'adore cette architecture à moité en pierre à moitié en
briques, ce n'est plus tout à fait un château fort ni encore un
bastion du XVIe siècle, c'est une architecture dite « de
transition ». La visite prend la demi-journée environ et la
visite guidée est essentielle. Je regrette juste que la guide n'ait
pas plus mentionné que cela l'affaire des Poisons, il a fallu que
des gens posent des questions de manière insistantes mais il faut
bien parfois trouver un défaut. Il y a beaucoup à voir dans la
région, ce n'est que ma première escapade dans les Pyrénées
Orientales !
Pour plus d'informations
sur les tarifs et comment s'y rendre : http://www.salses.monuments-nationaux.fr/
Et vous, y êtes vous
déjà allé ? Ou alors avez vous une autre visite à me
conseiller dans le coin ?
Il a l'air sympa ce château ! Je ne connais pas du tout la région, je note si un jour j'y vais. J'aime bien les anecdotes sur l'Affaire des poisons. Le coup d'emmurer les prisonniers, c'est horrible. Le détenu qui les a dénoncés est un vrai troll xD
RépondreSupprimer(et que dire de l'homme de compagnie qui n'avait pas sa carte bleue ... :o )
Oui le coup de l'Affaire des Poisons était vraiment intéressant ! Et le troll a pu être quand même libéré, comme quoi être un sale type peut aider xD
Supprimerça a l'air vraiment intéressant! Et puis vu la lumière et la couleur du bâtiment, il y a sûrement moyen de faire de très belles photographies!
RépondreSupprimerOui, je me suis beaucoup amusée à en faire :)
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