Point de mort encore
aujourd'hui ! Mais les abdications sont assez rares en Histoire,
et puis on ne parle pas de n'importe qui mais du souverain de
l'empire qui ne dort jamais : Charles Quint, empereur du Saint
Empire Romain Germanique et roi d'Espagne (entre autres). Pourquoi a
t'il abdiqué ? Je vous explique cela de suite.
Il faut l'avouer, les
abdications restent rares dans l'Histoire. En général, les
souverains restent accrochés à leur trône comme une moule à son
rocher jusqu'à la fin, la mort ! S'il dégage, c'est souvent
contre son gré. Par exemple Jacques II d'Angleterre en 1689
ou Charles X en 1830, victimes de révolutions ;
Éric VII de Danemark est évincé car sans héritier en
1439 ; Charles IV d'Espagne est forcé d'abdiquer
en 1807 sous la pression de Napoléon 1e, qui le
gardera prisonnier jusqu'en 1814 … Dans l'Histoire, on retiendra
sans doute Christine de Suède
qui abdiqua en 1654, refusant de se marier donc de continuer
la dynastie. Et plus récemment, Béatrix des Pays-Bas et
Albert II de Belgique ont abdiqué de leur plein gré en 2013.
Quant à Juan-Carlos 1e d'Espagne, il valait mieux pour la
monarchie espagnole qu'il renonce à sa couronne en 2014 …
Mais restons donc en
Espagne avec notre homme du jour : Charles
Quint. Qui est-il ce garçon ? Déjà il n'a pas un
arbre généalogique banal : fils de
Philippe le Beau, de la famille Habsbourg et gouverneur
des Pays Bas, lui-même fils de l'empereur Maximilien 1e de
Habsbourg, et de Jeanne 1e de Castille,
héritière des rois très catholiques Isabelle de Castille et
Ferdinand d'Aragon. Comme la
plupart des Habsbourg, la consanguinité ne rend pas très beau et
Charles Quint en fait les frais : un menton proéminent, un nez
long et droits, des yeux étirés et surtout cette bouche
perpétuellement ouverte avec une bonne lippe. Pas très sexy, même
si le portrait du Titien le rend un peu plus flatteur qu'il ne
l'était réellement.
Portrait de Charles Quint par Le Titien (16e siècle) |
Pour
faire court, il naît à Gand en 1500,
dans les Pays Bas espagnols mais grandira en Espagne dont il
deviendra le premier roi d'Espagne unifiée, auparavant la Castille
et l'Aragon étaient gouvernées par deux souverains. A 15 ans, il
est émancipé et et devient souverain des Pays Bas, dont il confiera
le gouvernement à sa tante Marguerite d'Autriche, puis à sa
sœur Marie. En 1516, à la mort de Ferdinand d'Aragon, il
devient roi des Espagnes, même si sa mère est toujours vivante,
folle – d'ailleurs on la connaît aujourd'hui surtout sous le nom
de Jeanne la Folle – et
enfermée dans un couvent depuis la mort de son époux, à tel point
qu'elle garda le corps défunt de son époux, refusant ses
funérailles, ambiance. Il sera ensuite élu Empereur des romains en
1519 sous le nom de Charles V (d'où
le Quint, le cinquième), mais il possède aussi notamment le
royaume de Sardaigne, de Sicile et de Naples, sans oublier la
Franche-Comté, le milanais et toutes les colonies du Nouveau Monde
(notamment la Nouvelle Espagne et le Pérou) ! Il le dira
lui-même :
« Sur mon empire, le soleil ne se couche jamais. »
De
son règne entre 1515 et 1556, le pauvre Charles
en a vécu des choses. Tout d'abord peu aimé en Espagne car flamand
(il se revendique même bourguignon), puis jugé trop espagnol dans
le Saint Empire, le souverain a passé sa vie à voyager. Il n'y a
qu'à voir la carte ci-dessous pour comprendre qu'il ne devait pas
rester longtemps au même endroit.
Carte des territoires Habsbourg sous Charles Quint en 1547, Nouveau Monde non compris (carte + grande ici) |
Et
le pire dans l'histoire, c'est que pour passer d'un territoire à
l'autre, notamment de l'Espagne aux Pays Bas, il fallait passer par …
la France. Et qui régnait en ce temps là ? François
1e ! Alors le
fameux roi chevalier était avant tout un troll, il faut bien le
dire, car il a passé sa vie à emmerder ce pauvre Charles
Quint. Il se présente
pour être empereur ? François
aussi ! Charles Quint possède
le milanais ? François le
veut ! Charles
demande l'autorisation de traverser la France pour rejoindre les Pays
Bas ? François
réfléchit, laisse les espagnols attendre de longs jours à la
frontière et refuse au dernier moment. Charles
exile les protestants ? François
les accueille ! Ils sont devenus rois en même temps et n'ont
cessé de se déchirer, malgré les nombreuses paix, jusqu'à la mort
du français en 1547.
Entre le rêve italien du français et le désir de la Bourgogne du
germano-espagnol, ils n'ont jamais pu s'entendre et ont dépensé des
fortunes pour espérer gagner, tout ça pour avoir match nul, même
si l'espagnol pourra se féliciter d'avoir tenu son ennemi prisonnier
pendant de longs mois. Même le pape
Clément VII n'arriva
pas à les réconcilier, du moins pas longtemps. Heureusement que
Louise de Savoie,
mère du roi français, et Marguerite d'Autriche,
tante de l'empereur germanique, firent la fameuse Paix
des Dames en 1526
pour les mettre d'accord !
Outre
les querelles de voisinage, Charles Quint
refusait le massacre des indigènes du Nouveau-Monde, dut lutter
contre des révoltes notamment aux Pays Bas, gérer l'arrivée du
protestantisme, un royaume immense, et aussi le malheur en amour.
Isabelle du Portugal est sa
cousine (la mère d'Isabelle est la tante de Charles, la sœur de sa
mère Jeanne), une belle femme, intelligente et le couple
s'aime. Ils se marièrent le 10 mars 1526,
il a 26 ans et elle 23, ce qui est assez tardif pour l'époque.
Ensemble, ils eurent 6 enfants dont la moitié seulement
atteint l'âge adulte. Son dernier accouchement lui est fatal et elle
meurt le 1e mai 1539, laissant le veuf inconsolable.
D'ailleurs, il ne se remaria jamais, même s'il eut une maîtresse,
Barbara Blomberg. Ses trois enfants feront de bons mariages
consanguins : sa fille Marie épouse son cousin
Maximilien II d'Autriche, et Jeanne épouse le
prince-héritier Jean-Manuel du Portugal son cousin, avant de
se marier à Dieu en entrant en religion à la mort de son époux.
Quant à son fils Philippe, futur Philippe
II d'Espagne, il fait très fort : tout d'abord marié
à sa cousine Marie du Portugal (oui la sœur de Jean-Manuel
si vous avez suivi) puis sa cousine Mary Tudor, puis pas sa
cousine (ça change) Élisabeth de France avant d'épouser sa
nièce Anne d'Autriche. En famille, c'est pas sale sans aucun
doute !
Portrait de Charles Quint par Christoph Amberger, sans doute bien plus réaliste que celui du Titien ! |
Avec
une telle vie, on comprend l'envie de se retirer de la vie publique
pour ce pauvre Charles. Il y pense peu après la mort de son épouse,
et commence à déléguer du pouvoir à son fils, lui donnant le
duché de Milan, le royaume de Naples et faisant de lui l'héritier
des Flandres. Quand, le 11 avril 1555, sa mère
Jeanne la Folle meurt et il se dit qu'il est temps aussi
de se retirer. De plus, outre ses malformations physiques, Charles
est épuisé, déprimé, souffre de nombreuses maladies :
goutte, asthme, hémorroïdes … Que du glamour en somme. Pour
commencer, le 25 octobre 1555 à
Bruxelles, dans le palais ducal, il abdique en faveur de son fils
Philippe pour la souveraineté des Pays Bas, et dit ces mots
touchants :
« Si je me
laisse aller à pleurer devant vous, Messieurs, ce n'est pas parce
que je m'apprête à mettre fin à mon règne, mais c'est parce qu'il
me faut quitter ce pays où j'ai vu le jour et dire adieu à tous les
fidèles vassaux que j'y laisse. »
Et
toujours dans la même ville ce fameux
16 janvier 1556, il
renonce aussi à la couronne espagnole, toujours en faveur de son
fils, devenu à présent Philippe II,
âgé de 29 ans. Par contre, il conserve son titre d'empereur mais
fait élire son frère Ferdinand
Roi des Romains, ce qui fera de lui l'empereur quand la Diète
décidera. Bon c'est bien joli, mais ça fait quoi un empereur à la
retraite ? Charles
a décidé de se retirer loin du monde politique, dans la région
d'Estrémadure à la frontière portugaise, dans le
monastère de Yuste,
doté de deux cloîtres autour d'une église, et d'une demeure pour
l'empereur, au fond du parc. Il y arrive le 3 février
1556, dans deux pièces
chauffés par un four allemand. Ses journées se passent en prières,
en écriture, en correspondances pour répondre aux conseils de son
fils et son pêché mignon : la nourriture ! Le 3
mai 1558, il n'est plus
empereur, la Diète de Francfort reconnaît son frère Ferdinand
comme le nouveau souverain sous le nom de Ferdinand 1e.
Durant ses derniers jours, il déjeune au soleil et se sentant
faiblir, fait répéter sa messe funéraire. Il décède, après
avoir reçu l'extrême-onction de la part de l'archevêque de Tolède
et donné ses derniers conseils, le 21
septembre 1558 à deux
heures du matin. Enterré dans le monastère, son fils récupérera
son corps pour l'installer dans la nouvelle nécropole royale de
l'Escurial, un palais-monastère qu'il fit construire. Une vie
difficile, épuisante mais qui a contribué à l'essor de la dynastie
Habsbourg, avec deux branches, l'une autrichienne l'autre espagnole,
dominant l'Europe de ses territoires avec de larges mariages
consanguins jusqu'à l'extinction de la branche espagnole en 1700 …
Article très intéressant. Charles Quint serait-il à la mode. J'en parlait moi aussi tous récemment sur mon blog. En tout cas c'est un personnage passionnant et complexe. Je découvre votre blog et je sens que je vais y revenir.
RépondreSupprimerVous êtes la bienvenue sur mon blog :) En effet, Charles Quint est un homme complexe, à la vie difficile. Je pense que quelques siècles en arrière, il aurait pu montrer davantage son pouvoir et son intelligence.
SupprimerAu plaisir de vous revoir.