samedi 16 janvier 2016

16 janvier 1556 : Abdication de Charles Quint


Point de mort encore aujourd'hui ! Mais les abdications sont assez rares en Histoire, et puis on ne parle pas de n'importe qui mais du souverain de l'empire qui ne dort jamais : Charles Quint, empereur du Saint Empire Romain Germanique et roi d'Espagne (entre autres). Pourquoi a t'il abdiqué ? Je vous explique cela de suite.


Il faut l'avouer, les abdications restent rares dans l'Histoire. En général, les souverains restent accrochés à leur trône comme une moule à son rocher jusqu'à la fin, la mort ! S'il dégage, c'est souvent contre son gré. Par exemple Jacques II d'Angleterre en 1689 ou Charles X en 1830, victimes de révolutions ; Éric VII de Danemark est évincé car sans héritier en 1439 ; Charles IV d'Espagne est forcé d'abdiquer en 1807 sous la pression de Napoléon 1e, qui le gardera prisonnier jusqu'en 1814 … Dans l'Histoire, on retiendra sans doute Christine de Suède qui abdiqua en 1654, refusant de se marier donc de continuer la dynastie. Et plus récemment, Béatrix des Pays-Bas et Albert II de Belgique ont abdiqué de leur plein gré en 2013. Quant à Juan-Carlos 1e d'Espagne, il valait mieux pour la monarchie espagnole qu'il renonce à sa couronne en 2014

Mais restons donc en Espagne avec notre homme du jour : Charles Quint. Qui est-il ce garçon ? Déjà il n'a pas un arbre généalogique banal : fils de Philippe le Beau, de la famille Habsbourg et gouverneur des Pays Bas, lui-même fils de l'empereur Maximilien 1e de Habsbourg, et de Jeanne 1e de Castille, héritière des rois très catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. Comme la plupart des Habsbourg, la consanguinité ne rend pas très beau et Charles Quint en fait les frais : un menton proéminent, un nez long et droits, des yeux étirés et surtout cette bouche perpétuellement ouverte avec une bonne lippe. Pas très sexy, même si le portrait du Titien le rend un peu plus flatteur qu'il ne l'était réellement.
Portrait de Charles Quint par Le Titien (16e siècle)

Pour faire court, il naît à Gand en 1500, dans les Pays Bas espagnols mais grandira en Espagne dont il deviendra le premier roi d'Espagne unifiée, auparavant la Castille et l'Aragon étaient gouvernées par deux souverains. A 15 ans, il est émancipé et et devient souverain des Pays Bas, dont il confiera le gouvernement à sa tante Marguerite d'Autriche, puis à sa sœur Marie. En 1516, à la mort de Ferdinand d'Aragon, il devient roi des Espagnes, même si sa mère est toujours vivante, folle – d'ailleurs on la connaît aujourd'hui surtout sous le nom de Jeanne la Folle – et enfermée dans un couvent depuis la mort de son époux, à tel point qu'elle garda le corps défunt de son époux, refusant ses funérailles, ambiance. Il sera ensuite élu Empereur des romains en 1519 sous le nom de Charles V (d'où le Quint, le cinquième), mais il possède aussi notamment le royaume de Sardaigne, de Sicile et de Naples, sans oublier la Franche-Comté, le milanais et toutes les colonies du Nouveau Monde (notamment la Nouvelle Espagne et le Pérou) ! Il le dira lui-même :

«  Sur mon empire, le soleil ne se couche jamais. »

De son règne entre 1515 et 1556, le pauvre Charles en a vécu des choses. Tout d'abord peu aimé en Espagne car flamand (il se revendique même bourguignon), puis jugé trop espagnol dans le Saint Empire, le souverain a passé sa vie à voyager. Il n'y a qu'à voir la carte ci-dessous pour comprendre qu'il ne devait pas rester longtemps au même endroit.

Carte des territoires Habsbourg sous Charles Quint en 1547, Nouveau Monde non compris (carte + grande ici)

Et le pire dans l'histoire, c'est que pour passer d'un territoire à l'autre, notamment de l'Espagne aux Pays Bas, il fallait passer par … la France. Et qui régnait en ce temps là ? François 1e ! Alors le fameux roi chevalier était avant tout un troll, il faut bien le dire, car il a passé sa vie à emmerder ce pauvre Charles Quint. Il se présente pour être empereur ? François aussi ! Charles Quint possède le milanais ? François le veut ! Charles demande l'autorisation de traverser la France pour rejoindre les Pays Bas ? François réfléchit, laisse les espagnols attendre de longs jours à la frontière et refuse au dernier moment. Charles exile les protestants ? François les accueille ! Ils sont devenus rois en même temps et n'ont cessé de se déchirer, malgré les nombreuses paix, jusqu'à la mort du français en 1547. Entre le rêve italien du français et le désir de la Bourgogne du germano-espagnol, ils n'ont jamais pu s'entendre et ont dépensé des fortunes pour espérer gagner, tout ça pour avoir match nul, même si l'espagnol pourra se féliciter d'avoir tenu son ennemi prisonnier pendant de longs mois. Même le pape Clément VII n'arriva pas à les réconcilier, du moins pas longtemps. Heureusement que Louise de Savoie, mère du roi français, et Marguerite d'Autriche, tante de l'empereur germanique, firent la fameuse Paix des Dames en 1526 pour les mettre d'accord !

Outre les querelles de voisinage, Charles Quint refusait le massacre des indigènes du Nouveau-Monde, dut lutter contre des révoltes notamment aux Pays Bas, gérer l'arrivée du protestantisme, un royaume immense, et aussi le malheur en amour. Isabelle du Portugal est sa cousine (la mère d'Isabelle est la tante de Charles, la sœur de sa mère Jeanne), une belle femme, intelligente et le couple s'aime. Ils se marièrent le 10 mars 1526, il a 26 ans et elle 23, ce qui est assez tardif pour l'époque. Ensemble, ils eurent 6 enfants dont la moitié seulement atteint l'âge adulte. Son dernier accouchement lui est fatal et elle meurt le 1e mai 1539, laissant le veuf inconsolable. D'ailleurs, il ne se remaria jamais, même s'il eut une maîtresse, Barbara Blomberg. Ses trois enfants feront de bons mariages consanguins : sa fille Marie épouse son cousin Maximilien II d'Autriche, et Jeanne épouse le prince-héritier Jean-Manuel du Portugal son cousin, avant de se marier à Dieu en entrant en religion à la mort de son époux. Quant à son fils Philippe, futur Philippe II d'Espagne, il fait très fort : tout d'abord marié à sa cousine Marie du Portugal (oui la sœur de Jean-Manuel si vous avez suivi) puis sa cousine Mary Tudor, puis pas sa cousine (ça change) Élisabeth de France avant d'épouser sa nièce Anne d'Autriche. En famille, c'est pas sale sans aucun doute !

Portrait de Charles Quint par Christoph Amberger,
sans doute bien plus réaliste que celui du Titien !

Avec une telle vie, on comprend l'envie de se retirer de la vie publique pour ce pauvre Charles. Il y pense peu après la mort de son épouse, et commence à déléguer du pouvoir à son fils, lui donnant le duché de Milan, le royaume de Naples et faisant de lui l'héritier des Flandres. Quand, le 11 avril 1555, sa mère Jeanne la Folle meurt et il se dit qu'il est temps aussi de se retirer. De plus, outre ses malformations physiques, Charles est épuisé, déprimé, souffre de nombreuses maladies : goutte, asthme, hémorroïdes … Que du glamour en somme. Pour commencer, le 25 octobre 1555 à Bruxelles, dans le palais ducal, il abdique en faveur de son fils Philippe pour la souveraineté des Pays Bas, et dit ces mots touchants :

« Si je me laisse aller à pleurer devant vous, Messieurs, ce n'est pas parce que je m'apprête à mettre fin à mon règne, mais c'est parce qu'il me faut quitter ce pays où j'ai vu le jour et dire adieu à tous les fidèles vassaux que j'y laisse. »

Et toujours dans la même ville ce fameux 16 janvier 1556, il renonce aussi à la couronne espagnole, toujours en faveur de son fils, devenu à présent Philippe II, âgé de 29 ans. Par contre, il conserve son titre d'empereur mais fait élire son frère Ferdinand Roi des Romains, ce qui fera de lui l'empereur quand la Diète décidera. Bon c'est bien joli, mais ça fait quoi un empereur à la retraite ? Charles a décidé de se retirer loin du monde politique, dans la région d'Estrémadure à la frontière portugaise, dans le monastère de Yuste, doté de deux cloîtres autour d'une église, et d'une demeure pour l'empereur, au fond du parc. Il y arrive le 3 février 1556, dans deux pièces chauffés par un four allemand. Ses journées se passent en prières, en écriture, en correspondances pour répondre aux conseils de son fils et son pêché mignon : la nourriture ! Le 3 mai 1558, il n'est plus empereur, la Diète de Francfort reconnaît son frère Ferdinand comme le nouveau souverain sous le nom de Ferdinand 1e. Durant ses derniers jours, il déjeune au soleil et se sentant faiblir, fait répéter sa messe funéraire. Il décède, après avoir reçu l'extrême-onction de la part de l'archevêque de Tolède et donné ses derniers conseils, le 21 septembre 1558 à deux heures du matin. Enterré dans le monastère, son fils récupérera son corps pour l'installer dans la nouvelle nécropole royale de l'Escurial, un palais-monastère qu'il fit construire. Une vie difficile, épuisante mais qui a contribué à l'essor de la dynastie Habsbourg, avec deux branches, l'une autrichienne l'autre espagnole, dominant l'Europe de ses territoires avec de larges mariages consanguins jusqu'à l'extinction de la branche espagnole en 1700 … 

2 commentaires:

  1. Article très intéressant. Charles Quint serait-il à la mode. J'en parlait moi aussi tous récemment sur mon blog. En tout cas c'est un personnage passionnant et complexe. Je découvre votre blog et je sens que je vais y revenir.

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    1. Vous êtes la bienvenue sur mon blog :) En effet, Charles Quint est un homme complexe, à la vie difficile. Je pense que quelques siècles en arrière, il aurait pu montrer davantage son pouvoir et son intelligence.
      Au plaisir de vous revoir.

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