On commence par bien
connaître les territoires belges. On a parcouru l'Antiquité avec la
domination romaine et des germains, le Moyen Âge tumultueux et
bourguignons, l'époque moderne avec la puissance de la famille
Habsbourg, et je vous ai laissé la dernière fois où les
territoires belges agrandissait le royaume de Hollande. Nous nous
sommes arrêtés donc dans cette première moitié du 19e siècle où
après s'être révolté, la Belgique avait passé son temps sous la
coupe française, puis celle hollandaise avec un souverain, Guillaume
Ie, despote éclairé et favorisait ses terres aux belges,
les laissant de côté et, pire encore, spoliait leurs acquis. Le
français, langue officielle belge, devait disparaître au profit du
néerlandais. On notait aussi une parité absente dans les
administrations, et surtout, les territoires belges en avaient assez
d'être gouvernés par d'autres sans qu'on leur demande leur avis. Et
en général, quand les gens ne sont pas contents, cela finit
toujours de la même façon … par une révolution.
Depuis le Congrès de
Vienne de 1815 où les grandes puissances se sont partagées
l'Europe, les territoires belges appartiennent à la Hollande,
reformant les Pays Bas espagnols de Charles Quint. Outre la
différence de religions (rappelez vous que les territoires se
sont séparés car le Nord était protestant et le Sud catholique en
majorité), il s'agit surtout d'une affaire d'injustice, surtout
sur la question financière : les territoires belges n'avaient
une dette que de 100 millions de florins, contrairement à la
Hollande, qui s'élevait à 1,25 milliards. Les deux dettes
fusionnèrent et les belges durent payer les dettes de son
envahisseur … Si on rajoute le baisse des chiffres d'affaires des
commerçants belges, la non-liberté de la presse, un grondement
retentissait et se faisait de plus en plus entendre.
Belgique
révolutionnaire : vers une Belgique indépendante
Comme lors de la
révolution brabançonne de 1789, deux clans s'opposaient : d'un
côté les libéraux, principalement jeunes et sous influence des
libéraux français, anticléricaux pour certains, et surtout contre
l'absolutisme de Guillaume 1e. De
l'autre, un clan clérical ne supporte pas d'être écarté de
l'éducation, certains voulaient même la séparation de l’Église
et de l’État pour une plus grande liberté d'action. Il fallut
plusieurs années pour que ces deux clans bien différents arrivent
enfin à s'unir, on appelle ça l'unionisme. A partir de 1828,
ils essaient de se faire entendre à la Chambre et envoient de
nombreuses pétitions pour la liberté de la presse, de
l'enseignement, des langues, de la religion mais aussi une égalité
entre les belges et hollandais. Personne ne prend vraiment cela pour
une menace, d'ailleurs le souverain accepte de lâcher du lest,
certain que cela suffira. Pas du tout, les troubles redoublent et le
roi décide de sévir. Il contrait les opposants au régime à
prendre le chemin de l'exil ou la prison, comme les libéral Louis
de Potter condamné à 18 mois de détention pour ses
articles contre le gouvernement. D'un autre côté, le roi nomme son
fils Guillaume d'Orange président du Conseil des Ministres, bien
déterminé à que rien ne soit remis en cause.
Tout aurait pu rester
relativement calme jusqu'à la révolution de 1830 en France. Ce
qu'on nomme les Trois Glorieuses, du 27 au 29 juillet 1830,
est la courte période où les contestataires voulaient juste la
démission d'un ministre et s'est terminé en insurrection avec la
volonté de faire tomber la monarchie. Point de république, mais un
nouveau roi monte sur le trône : Louis-Philippe Ie, roi
des français. Comme en 1789, la France ouvre les portes à leur
voisin belge et dés ce mois de juillet, des troubles éclatent,
notamment devant l'Opéra de Bruxelles. Il faut dire qu'on y joue La
Muette de Portici, racontant la révolte des napolitains sur les
espagnols au 17e siècle. Et avec des paroles comme :
Amour sacré de la
patrie
Rends nous l'audace et
la fierté
A mon pays tu dois la
vie
Il me devra la liberté.
Autant dire que cela
inspire plus d'un à se soulever ! Devant de telles folies
autour d'un opéra, le gouvernement interdit les représentations,
renforce les garnisons dans la ville. Puis finalement, l'opéra peut
être à nouveau représenté le 25 août, qui est aussi le
jour où Guillaume Ie fête son
anniversaire. On peut pas dire qu'il ne l'oubliera pas celui-là …
La représentation met le feu aux poudres et les insurgés
s'attaquent à tous les symboles royalistes hollandais, pillent une
armurerie et … un magasin de jouets pour voler des tambours !
Pillages, violences, dégradations, et on souhaite bon anniversaire
au roi, à la belge ! La masse d'insurgés grandit au fil des
heures, et les garnisons, prises de court, ne sont pas assez
nombreuses, et n'arrivent pas à poursuivre les révoltés dans les
rues sinueuses du centre ville médiéval de Bruxelles. Au milieu de
tout cela, on brandit des drapeaux français et on chante La
Marseillaise, avant que le premier drapeau belge ne soit crée :
trois bandes horizontales jaune, noir et rouge. Plusieurs villes se
soulèvent, notamment à Liège, sous la personne de Charles
Rogier avant de marcher sur la capitale belge.
Episode des Journées de septembre 1830 sur la Place de l'Hôtel de Ville de Bruxelles, par le baron Gustaf Wappers, 1835 (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique) |
Autant dire, que le roi
ne se lève pas faire et envoie 6.000 hommes taper sur la gueule des
insurgés, sous le commandement du prince
d'Orange. Le 31 août, ce dernier négocie avec des
délégations, et les menace : s'ils n'abandonnent pas, il
marche le lendemain sur Bruxelles. Sympathique d'annoncer son plan,
car durant la nuit, des barricades sont élevées dans toute la
ville ! Finalement, l'armée entre dans la ville le 23
septembre, et c'est un bain de sang. Ce qu'on appelle les
« journées de septembre » ressemblent à s'y
méprendre à celles de la France, meurtrières et violentes. Mais
l'armée comprend qu'elle ne peut arriver de venir à bout de ce
peuple déchaîné. Tout comme en France,
Guillaume Ie propose des mesures demandées mais trop
tard. On crée un gouvernement provisoire le 4 octobre et est
proclamé l'indépendance de la Belgique. Le gouvernement est bien
plus hétéroclite que durant la révolution de 1789 : le
révolutionnaire Charles Rogier, un artisocrate conservateur
Félix de Mérode ou encore le républicain Louis de
Potter.
Alors, c'est bien d'avoir
gagné, mais que fait-on maintenant ? L’Europe entière à les
yeux rivés sur ce petit territoire qui s'est rebellé contre les
décisions du Congrès de Vienne de 1815. Le spectre de la République
fait peur, mais l'Europe reconnaît le 20 janvier 1831 la
victoire des insurgés belges, même si la Belgique perd quelques
territoires : une partie du Limbourg et le Grand-Duché du
Luxembourg, réclamé par le grand perdant Guillaume
Ie. Le 26 juin 1831 est promulgué le traité des
XVIIIe articles qui fixe les frontières de la Belgique et leur
neutralité. Reste à savoir quelle forme par prendre ce nouveau
territoire, et qui pour le gouverner. Mais qui pour gouverner ce
petit pays instable ? On chercha au départ dans les familles
patriciennes mais les puissances européennes préfèrent un prince
étranger. On parle du duc de Reichstadt, fils de Napoléon
Ie, du duc de Nemours fils de Louis-Philippe Ie.
L’Angleterre propose son candidat idéal : Léopold
de Saxe-Cobourg.
Portrait Léopold Ie de Belgique, par Franz Xaver Winterhalter |
Qui est ce monsieur ?
Léopold est issu de la famille
Saxe-Cobourg-Saalfeld, petit état allemand comme il y en a des
centaines dans le Saint-Empire Romain Germanique. Né en 1790 à
Cobourg, il naît dans une bonne famille avide d'ambition. Et on le
sait, la fortune passe souvent par les mariages. Ca tombe bien,
Catherine II de Russie cherchait à marier son petit-fils
Constantin et fit venir la mère de Léopold
et ses trois filles pour qu'une l'épouse. Ce sera Julienne,
et cette union en 1796 eut un effet bénéfique pour la famille avec
le rapprochement avec la Russie. Le jeune
Léopold n'a que 5 ans quand il est nommé colonel et
devient général à 12 ans. Mieux encore, une autre de ses sœurs,
Antoinette, épouse Alexandre de Wurtemberg, beau-frère
du tsar Paul Ie. Traumatisé par l'occupation des troupes de
Bonaparte, Léopold se forge déjà
son caractère, puis est envoyé par sa mère à Paris pour négocier
avec l'empereur. Il a 16 ans quand il découvre Paris en 1806 et de
ses plaisirs. S'il ne retient qu'une humiliation de la part de
l'empereur, il se souvient du très bon accueil de l'impératrice
Joséphine et sa fille Hortense. D'ailleurs, c'est lui qui
favorisera la rencontre entre ces deux femmes et le tsar Alexandre
Ie. Puis il part pour l'Angleterre et découvre le fonctionnement
de la monarchie parlementaire. Drôle de concept pour un homme né
avant les tempêtes révolutionnaires et l'ancien régime. Il fit un
mariage d'amour avec la princesse Charlotte de Galles,
héritière du trône de Grande-Bretagne. Mais son tragique décès
après un accouchement de 42 heures laisse Léopold sans amour mais
aussi sans couronne. Il joue à son tour les marieurs avec un coup de
maître : sa sœur Victoire épouse le duc de Kent,
4e fils du roi George III et elle met au monde la future reine
Victoria, dont Léopold
s'occupe un temps comme un mentor. Après la couronne de
Grande-Bretagne, Léopold espère la couronne grecque mais celle-ci
lui échappe encore. Triste sort ? Peut être, mais cet homme
fort de 40 ans, qui a appris de ses échecs, est un parfait candidat
et cette fois, elle ne lui passe pas sous le nez.
Belgique
monarchique : petit royaume mais costaud
Pour prêter serment
devant son nouveau peuple, le presque nouveau roi arrive par le petit
port de La Panne et voit au fil des villages et villes un grand élan
populaire à son égard. Lorsqu'il arrive à Bruxelles, c'est la
grande liesse populaire ! Le 21 juillet
1831, le désormais Léopold Ie
prête serment, devenu aujourd'hui la fête nationale de la Belgique.
D'ailleurs Léopold devient « roi des Belges » et non
« de Belgique », subtil mais cela montre que le pouvoir
royal émane d'abord du peuple. La Constitution belge de 1831 répond
aux attentes du peuple belge : liberté et égalité pour tous
devant la loi, la liberté individuelle, la liberté de la presse,
des cultes et des opinions, ainsi que celles des langues. Enfin, la
Belgique se gouverne par elle-même avec des siècles de domination.
Si l'Europe se satisfait de ce nouveau roi et de cette Constitution,
un grogne toujours : les Pays Bas refuse toujours l'indépendance
de son territoire, et ce, jusqu'en 1839 !
Prestation de serment du roi Léopold Ie, par Egide Wappers |
Maintenant qu'ils ont un
roi, les belges se cherchent des symboles. Le premier drapeau
rappelle trop la Hollande avec les bandes horizontales, et il faut
aussi organiser les couleurs. Ce sera donc trois bandes verticales
(comme la France) noire, jaune et rouge. Quant à l'hymne, après
avoir un temps chanté La Marseillaise, il en faut un propre,
et c'est un français et un compositeur belge, Jenneval et Fançois
Van Campenhout, qui composent La Bruxelloise, devenue La
Brabançonne. Si celle-ci existe depuis 1831, la musique n'est
fixée qu'en 1873 et le texte en 1938 ! L'emblème national
devient le lion du Brabant avec comme devise « L'union
fait la force ».
Un petit souci : le
nouveau est roi est protestant. D'accord, il y a la liberté de culte
mais ça fait un peu tâche. Léopold Ie
n'a pas envie de se convertir mais fait cette promesse : il
épousera une catholique et les enfants seront élevés dans la foi
de son épouse. Seulement voilà, qui épouser ? Le souverain le
sait, il faut toujours se tourner vers ses alliés. Pas la Russie
orthodoxe ni la Grande-Bretagne anglicane, c'est en France qu'il
choisit une princesse catholique :
Louise-Marie d'Orléans, la fille aînée du roi
Louis-Philippe Ie.
La jeune princesse a 20
ans, c'est une jeune fille brune, frêle, plutôt jolie et d'une
grande timidité. Elle n'a pas envie de se marier, bien dans son
cocon familial, et pour avoir déjà rencontré son futur mari dans
son enfance, garde l'image d'un homme austère et morose. Pourtant,
elle fait « un sacrifice de raison, un sacrifice pour
l'avenir très pénible » comme elle le dit elle-même. Ses
parents ne veulent pas la pousser mais la jeune femme accepte. Le
mariage est célébré le 9 août 1832 au château deCompiègne, selon le rite luthérien et catholique. La jeune femme
pleure toutes les larmes de son corps durant la cérémonie.
Pourtant, le mariage s'avérera relativement heureux dans les
premières années, Léopold se montrant tendre envers son
épouse. Désormais reine des Belges, Louise est enceinte
l'année suivante mais il décède avant d'atteindre sa première
année. Fort heureusement, trois enfants suivront : l'héritier
Léopold, Philippe titré comte de Flandre et la
princesse Charlotte.
Mariage de Léopold Ier, roi des Belges, et de Louise d'Orléans |
Durant son règne de
trente quatre années, Léopold Ie
a voulu renforcer la place de la Belgique, et de sa famille, sur la
scène internationale. Il écarte les républicains et radicaux du
pouvoir, il réussit à éviter une révolution en 1848,
contrairement à la France, évite d'entrer dans les conflits entre
la Prusse et l'empire d'Autriche-Hongrie et met le pays à la page.
En 1850, le roi pose la première pierre d'une colonne pour
commémorer le Congrès National de 1830. Côté familial, il impose
toujours la politique matrimoniale : son neveu Albert
épouse la reine Victoria (son autre nièce) ; son autre
neveu Ferdinand épouse la reine Marie II du Portugal ;
l'héritier Léopold (futur
Léopold II) épouse Marie-Henriette de Habsbourg,
petite fille d'empereur, un excellent mariage politique mais mauvais
mariage sentimental … ; le second, Philippe
se marie à une princesse allemande Marie de Hohenzollern ;
Charlotte, quant à elle, épouse
le frère de l'empereur d'Autriche, Maximilien de Habsbourg,
elle deviendra l'éphémère impératrice du Mexique avant de sombrer
dans la folie.
Le 10 décembre 1865,
le premier roi des Belges rend son dernier souffle, quinze année
après son épouse la reine Louise. Les obsèques sont
grandioses et on y voit de grands élans patriotiques : les
belges pleurent leur souverain. S'il voulait être enterré en
Angleterre auprès de sa première épouse, Léopold
Ie rejoint la seconde dans la crypte royale de
Laeken, construite peu après le décès de la reine Louise.
Le service funèbre se fait à l'extérieur sous une tente pour le
rite luthérien et devient ensuite le cœur de la crypte royale.
Je finis l'article sur un hommage de
Charles Beaudelaire au premier roi des Belges :
Léopold voulait sur la
Mort
Gagner sa première
victoire
Il n'a pas été le
plus fort ;
Mais dans l'impartiale
histoire,
Sa résistance
méritoire
Lui vaudra ce nom
fulgurant :
« Le cadavre
récalcitrant ».
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