Cliché oblige, à
l'approche de la Saint-Valentin, je vais vous parler d'amour. Comme
quoi il y a des dates presque trop faciles, et ça m'arrange. Quand
on parle de beaux mariages royaux, la plupart citeront la reine
Victoria et le prince Albert, un mariage d'amour et de politique qui
nous fait croire que les souverains eux aussi peuvent être heureux
en amour, sans aller voir ailleurs. Remontons encore en arrière, au
siècle des Lumières pour vous conter le mariage d'une grande
histoire d'amour …
J'ai parlé déjà évoqué
des mariages dans mes précédentes chroniques, et jamais ils n'ont
été heureux, provoquant un massacre sans nom, ou simplement le malheur d'un couple, les mariages arrangés dans les hautes sphères
ne donnent pas bien envie. Peut être est-il plus simple de choisir
l'amour quand la femme est aux pouvoirs ? Victoria et
Marie-Thérèse l'ont bien prouvé, mais les souveraines se font trop
rare pour établir une statistique …
Passons à nos amoureux
du jours, qui sont-ils ? Commençons par la dame. Marie-Thérèse
d'Autriche provient de la famille Habsbourg,
régnant sur le Saint-Empire Romain Germanique depuis des siècles,
et sur l'Espagne depuis le XVIe siècle, grâce à Charles Quint.
Fille de l'empereur Charles VI,
elle est destinée à régner. En effet l'empereur Charles est le
dernier Habsbourg mâle direct et son unique fils meurt à l'âge de
cinq ans, s'en suivit de trois filles : Marie-Thérèse
donc, Marie-Anne (qui épousera le frère de François
III, histoire de rester en famille) et Marie-Amélie,
morte en bas âge. Depuis son enfance, elle est destinée à régner
et en 1736, elle ne sait pas qu'il lui reste encore quatre
années dans son titre d'archiduchesse avant de prétendre au trône.
C'est une jeune femme bien faite avec « le port de tête
majestueux, sa figure est ronde et pleine, ses cheveux sont blonds
(…), ses yeux très grands pleins de vie et de douceur, d'une
couleur bleu très foncée, font impression. (…) Ses dents blanches
se montrent de la façon la plus charmante quand elle rit. Bien que
grande, sa bouche est plutôt jolie. Elle a la nuque et la poitrine
bien faites et ses mains sont délicieuses. » Portrait
joliment dressé par un ministre prussien, bien loin de l'image
vieillie qu'on la connaît. Non seulement belle mais aussi
intelligente, elle parle et écrit l'allemand, le français,
l'italien mais aussi le latin. Pourtant, elle n'a aucune formation
politique, ce qui la déstabilisera un temps une fois sur le trône.
François
de Lorraine possède une famille prestigieuse : son
père, le duc Léopold 1e de Lorraine,
est issu de la prestigieuse famille de Lorraine, et sa mère Éléonore
d'Autriche, est la fille de l'empereur Ferdinand III du
Saint-Empire. Oui, il y a consanguinité entre François et
Marie-Thérèse, mais à l'époque, en famille, ce n'était pas
sale ! Quant à sa mère Élisabeth
d'Orléans, elle est la fille de Philippe
d'Orléans, Monsieur le frère du roi, et
arrière-petite-fille de Louis XIII. Donc descendant des
Bourbons et des Habsbourg, François a tout du bon parti. Enfin, pas
tout de suite. Il est tout de même le neuvième enfant de la
fratrie, sur quatorze. Oui vous avez bien lu. Quand il naît en 1708,
quatre de ses aînés sont déjà morts en bas âge et sur les quatre
autres, trois moururent de l'épidémie de variole en 1711. De
neuvième, il passe second, derrière son frère Léopold.
Mais malheur, celui-ci
meurt de la variole en 1723, à l'âge de 16 ans. François
devient donc l'héritier du duché de Lorraine. Derrière lui, cinq
autre enfants naîtrons, dont trois atteindront l'âge adulte :
une devient abbesse, l'autre fille épouse le roi de Sardaigne
Charles Emmanuel III, quant au garçon, il épouse la sœur de
Marie-Thérèse et devient gouverneur des Pays-Bas. Sa grand-mère la
princesse Palatine le trouve beau quand elle le voit, à 12 ans, au
couronnement de Louis XV, avec ses yeux bleus, son sourire aimable.
Et il a de nombreuses qualités : bon danseur et bon chasseur,
cela compense son manque de goût pour les études. Son éducation à
Vienne est assez sommaire au final, et il est rappelé en 1729, après
la mort de son père pour monter sur le trône de Lorraine, sous le
nom de François III.
Portrait de François de Lorraine à l'âge de 15 ans |
Quand se sont-ils
rencontrés ? A Prague quand il arrive, il a 15 ans, elle en a
7. Ils sont déjà promis l'un à l'autre : les deux pères,
cousins et excellents amis, veulent sceller cela par des mariages.
Marie-Thérèse aurait dû
épouser l'aîné Léopold, mais un frère en remplace un autre …
Les belles histoires d'amour se jouent à une mort près.
Marie-Thérèse a compris les projets de son père et s'y plie, non
seulement par devoir, mais aussi par envie : envers son cousin,
elle éprouve de l'amour. D'ailleurs, un ambassadeur du roi
d'Angleterre tient ce discours « La nuit, elle le voit en
rêve ; le jour, elle n'entretient ses dames de compagnie que de
lui. Aussi n'est-il pas vraisemblable qu'elle puisse jamais oublier
l'homme pour lequel elle se croit née. » Elle est
amoureuse, elle le dit à qui veut bien l'entendre !
Mais toute bonne histoire
d'amour, il y a un obstacle. Ici, c'est la politique internationale.
En France, on a peur de l'alliance Lorraine-Saint Empire, les
frontières sont beaucoup trop proches de Paris. De l'autre, la
guerre de Succession de Pologne éjecte du trône Stanislas
Leszczyński, beau-père de Louis XV et ça ne le fait pas
trop. Après de nombreuses négociations, il n'y a qu'une solution :
François doit se séparer de sa fiancée ou de son duché. Choix
difficile, le jeune homme hésite, prend la plume et la repose à
plusieurs reprises jusqu'à ce que le baron Bartenstein,
ministre de l'empereur, prononce cette phrase en français « Pas
de renonciation, pas d'archiduchesse. » Il signe donc.
Quelle plus belle preuve
d'amour que de renier sa terre et celle de sa famille depuis des
siècles pour la femme qu'on aime ? J'en vois pas vraiment. Pour
compenser, on le nomme Grand-duc de Toscane, vacant depuis
l'extinction des Médicis, sous le nom de François II. Enfin,
il lui est possible d'épouser la demoiselle … Il faut dire que
leurs lettres sont enflammées lorsque la distance les sépare. Peu
avant de signer, il lui avait écrit « Je peux vous
assurer que les jours me sont insupportables où je n'ai pas le
bonheur de me jeter aux pieds de ma fiancée bien aimée ».
Le
31 janvier 1736, François fait sa demande en mariage
officielle auprès de l'empereur Charles VI qui donne son
consentement. Le mariage se fait deux semaines après, ce fameux 12
février 1736. Selon l'étiquette autrichienne, le promis
doit s'éloigner de Vienne durant les préparatifs, heureusement cela
ne les empêche pas de s'écrire ! Le mariage est célébré
dans l'église des Augustins où sont tendues des tapisseries
somptueuses. Les époux habillés de blanc, donnent leur
consentement. Après cela, un dîner intimiste est organisé à la
Hofburg, avec six convives : l'Empereur et son épouse, les
époux, la sœur de l'empereur et la sœur de Marie-Thérèse (celle
qui va épouser le frère de son mari). Les gens de la Cour se
tiennent autour de la table debout, comme le veut l'étiquette.
« Le mariage est bon si la dot de la femme est importante » dicton germanique
Le bonheur conjugal
durera jusqu'à la mort de François, devenu l'empereur François
1e, en 1765. Marie-Thérèse
régnera quinze ans sans l'homme qu'elle aime et qui lui a
donné seize enfants, dont dix ont survécu à l'âge adulte et tous
placés dans de grands mariages dynastiques, mais sans doute bien
moins heureux que leurs parents. Elle se fit enterrer dans le
sarcophage double prévu à cet effet dans la crypte des capucins
auprès de son époux, un magnifique mausolée surmonté du couple se
faisant face et où est gravé le nombre d'années, de mois et jours
qu'ils sont passés mariés, soit 29 ans 6 mois et 6 jours. C'est
d'ailleurs le monument le plus impressionnant de la crypte.
Le tombeau du couple Habsbourg-Lorraine dans la crypte des Capucins, à Vienne |
Aujourd'hui encore, dans
le canton suisse d'Argovie, ancienne possession Habsbourg et berceau
de la famille, des couples veulent se marier sous le portrait de
l'impératrice, il paraîtrait qu'il porte chance. Quoi qu'il en
soit, un peu d'amour chez les monarques ne fait pas de mal, cela
prouve qu'on peut diriger un empire et avoir le cœur gonflé de
bonheur …
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