Oh tiens, une autre
mort ! Pas stupide cette fois, une exécution en bonne et due
forme, à l'ancienne, ça va vous changer. On va parler d'un homme
qui a atteint les sommets de la hiérarchie sociale, ministre d'un
roi, qui a tout réussi dans l'honnêteté, mais qui n'avait qu'un
défaut : être détesté d'un prince de France. Comme quoi
l'existence ne tient à pas grand chose, aux relations et aux
disgrâces. Pauvre Enguerrand de Marigny, pendu sur le plus grand
gibet de Paris …
Les exécutions ont
toujours été un divertissement dans l'Histoire, peu importe qui
venait à mourir, qu'il soit innocent ou non. Les méthodes changent,
on se souvient de la guillotine sous la Révolution, le bûcher, …
La pendaison, réservé notamment aux voleurs, n'avait pas à être
appliqué à Enguerrand de Marigny,
notre homme du jour. Ce dernier n'aurait d'ailleurs pas dû mourir !
D'ailleurs, qui est-il ?
Enguerrand
de Marigny vient de la petite noblesse, son
arrière-grand-père Hugues Le Portier, portait ce nom car il
avait pour fonction de garder les quatre portes du château de
Lyons-la-Forêt (Eure). En 1204, il épousa Mahaut de Marigny,
et ce fut son nom à elle qui fut transmis aux enfants. Enguerrand
épousa en première noce Jeanne de Saint-Martin, filleule de
Jeanne de Navarre, reine de
France dont il eut deux enfants, puis se remaria. D'abord panetier de
la reine, il fut un des favoris du roi, Philippe
IV le Bel, qui le couvrit de titre : comte de
Longueville, châtelain du Louvre, chambellan. Homme cultivé et
intelligent, ses augmentations d'impôts le rendent impopulaires
auprès du peuple ; il noue aussi des inimitiés au sein de la
cour car, tout comme son roi, il veut une monarchie moderne et
centralisée, loin de la tradition féodale, et s'attire les foudres
des seigneurs, dont le propre frère du roi, Charles
de Valois. Sa fidélité auprès du souverain lui donne
toujours de pouvoir et de richesses : il devint gardien du
Trésor et membre du conseil Royal. Autant dire qu'à la mort de
Philippe IV le 29 novembre 1314, la chute va être rude
pour le ministre tout puissant.
Le successeur du Bel, son
fils Louis X dit le Hutin, est
influencé par son oncle et tout le parti féodal. Ceux-ci accusent
le ministre d'avoir détourné des fonds pour son propre bien. Une
enquête fut menée mais ne mena à rien le 24 janvier 1315. A
cette époque, il est toujours chambellan du nouveau roi mais on sait
que sa disgrâce est proche. Mais Charles de Valois ne
s'arrêtait pas en si bon chemin et lors d'un conseil royal qu'il
reprocha au chambellan d'avoir vidé les caisses du royaume. Mais
Marigny se défendit, n'ayant dépensé que sur ordre de son
ancien souverain. Mieux encore, une partie des dépenses servirent à
rembourser Charles lui-même, le roi ayant des dettes envers son
frère ! Selon les Grandes Chroniques de France, le
Valois se satisfaisait pas de cette réponse : « Certes,
de ce mentez vous, Engorran ! » et Marigny de
répondre « Par Dieu, sire, vous mentez ! »
Et voilà le prince de France sauter à la gorge de son ennemi,
l'assistance dut les séparer.
Si on aurait pu s'en
tenir là, Charles de Valois
était bien décidé à faire tomber son ennemi et chercha de
nouveaux prétextes : voilà que le Chambellan aurait causé la
mort du défunt roi ! Et pour couronner le tout, il déclara
qu'il ne reviendrait pas à la Cour tant que l'autre ne serait pas
arrêté. Pauvre Louis X, bien embêté d'avoir de mauvaises
relations avec son oncle, le roi décida
d'arrêter Marigny sur-le-champ, à Vincennes le 11 mars
1315, et emmené au Louvre (qui a l'époque ressemblait plus à
une forteresse qu'au palais d'aujourd'hui). Mais avec la fonction de
châtelain du Louvre, le désormais prisonnier pouvait s'enfuir et
connaissait tous ses hommes, voilà pourquoi son ennemi s'entêta à
de nouveaux caprices pour le faire transférer au Temple deux jours
plus tard. Entre temps, le peuple avait appris son arrestation criait
« Au gibet ! » dans tout Paris !
Le 15 mars
s'ouvrit son procès à Vincennes, en présence du roi et des grands
du royaume. Jean Hanière, avocat de l'accusation et prévôt de
Janville, était l'avocat de l'accusation et développa de lourds
blâmes sur l'accusé : trahison, déloyauté, parjure,
prévarication, spoliations … Au total quarante et un griefs sont
notés dans les Grandes Chroniques. La plupart des accusations
ne tiennent pas la route : comment un homme comme Marigny
ait pu voler le Trésor du Louvre en pleine nuit en compagnie de six
hommes ? Ou que Mahaut d'Artois lui ait donné la haute
justice et le marché de Beaumetz ? Les griefs volèrent en
éclat les uns après les autres, peu solides ou mal renseignés.
Quant à la défense, on refusa à Marigny de se préparer, on le
renvoya donc au Temple.
Portrait de Louis X, 19e siècle |
Mais Louis X, qui
ne voulait pas voir son ancien chambellan mourir, pensa à l'exiler
sur l'île de Chypre, ou Rhodes, selon les sources. Bref, très loin.
Seulement, il fallait terminer ce procès : si les charges
retenues contre lui étaient trop faibles, le peuple et certaines
personnes réclamaient une sanction. Mais encore une fois, Charles
de Valois intervint avec une nouveau lapin dans son
chapeau : la sorcellerie. Comment ? On apprit que des
proches d'Enguerrand
de Marigny, sa seconde femme Alips de Mons
et sa belle-soeur, sont allées voir le modeleur Jacques de Lor et
sa famille, une femme et un fils, qui avaient des images en cire pour
envoûter le roi et le comte de Valois pour se venger. Vérité,
affabulation ? En tout cas, comme par hasard, ce fut toujours
Charles de Valois qui apprit la chose ! Il fit arrêter
tout le monde d'ailleurs, pour que tout soit plausible ! En tout
cas, l'affaire fit grand bruit et le souverain ne pouvait plus
prononcer la sanction de bannissement, mais bel et bien, la mort. Le
jugement par ses pairs, comme dans la tradition féodale, eut lieu de
le 28 avril et il attendit au Châtelet, l’exécution de sa
sentence.
Pendaison Enguerrand de Marigny, Grandes Chroniques de France (British Library) |
En ce mercredi
30 avril 1315, veille de l'Ascension, Marigny fut conduit,
enchaîné avec les fers aux pieds, une coiffe blanche sur la tête,
au gibet de Montfaucon. Il s'agit du plus grand gibet de Paris dont
il ne reste (heureusement) plus une seule trace mais se situait sur
la butte de Montfaucon, non loin de l'actuelle place du
Colonel-Fabien (Xe arrondissement), et a existé jusqu'au début de
XVIIe siècle. On peut imaginer un monument à seize fourches, haut
d'environ 6 mètres. Effrayant. Le condamné fut pendu à l'angle du
plus haut étage. A noter que son voisin du dessous n'était autre
que le fils du modeleur. Courant juin 1315, on découvre son cadavre
à terre, nu … on avait essayé de voler son corps ! Il fut
replacé tout en haut, jusqu'en 1317, où son fils demanda au
nouveau roi Philippe V l'autorisation d'être enterré
dignement. Il fut définitivement enterré dans la collégiale
d'Ecouis (Eure), que Marigny avait fondé, en 1325.
Quant à Charles de
Valois, dans le remord sans doute, distribua en 1325 de l'argent
aux pauvres de Paris en leur demandant de prier pour Marigny et pour
lui même, avant de mourir le 16 décembre 1325.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire