Après avoir parlé
mariage la semaine dernière, revenons à nos morts, surtout en cette
journée de la Toussaint, associée à la journée des défunts
(normalement le lendemain, le 2), on reste dans le thème. L'homme
dont je vais vous parler aujourd'hui n'était pas destiné à régner,
ni même à vivre bien longtemps. Son accession sur le trône
d'Espagne plonge le royaume dans la déchéance, et sa mort dans le
chaos puisqu'il n'a pas eu d'héritier. Charles
II d'Espagne est sans doute ce que la descendance
Habsbourg a eu de pire, et son décès n'a pas aidé en ce début de
18e siècle …
Charles II est sans doute
ce que les royaumes ont dû avoir de pire en matière de rois.
Pourtant, la France a fait fort avec Charles VI, mais on ne pouvait
prévoir une telle folie, si tardive. Pour le roi d'Espagne, cela
aurait pu être évité avec la diversité des mariages. Je suis
d'accord, à force d'alliances à travers l'Europe, tous les royaumes
sont plus ou moins cousins. Mais les deux branches Habsbourg, celle
d'Autriche (et du Saint-Empire) et d'Espagne se sont appliquées à
se marier entre eux sur plusieurs générations. Pour vous le
prouver, nous remontons à Charles Quint :
Charles Quint épouse
sa cousine Isabelle du Portugal ;
→ Leur fils, Philippe
(futur Philippe II d'Espagne) se
marie 4 fois : deux cousines, une princesse française et une
nièce, Anne d'Autriche ;
→→ Avec cette
dernière, ils ont Philippe III
qui se marie avec sa cousine Marguerite
d'Autriche-Styrie ;
→→→ Leur fils,
Philippe IV, épouse d'abord une
princesse française, puis sa nièce Marie-Anne
d'Autriche ;
→→→→ Charles
II naît de cette seconde union.
Vous imaginez le niveau
de consanguinité ? Pas étonnant l'état du gaillard, tous ses
aïeux sont de la même famille ! C'est à se demander comment a
t'il pu vivre presque quarante ans ! Ses quatre autres frères
et sœurs n'ont pas connu la même longévité : deux ont à
peine tenu une année, l'héritier Philippe ne passe pas les
quatre ans, et sa sœur aînée Marguerite-Thérèse décède
à 21 ans après avoir épousé son oncle Léopold Ie. Enfin,
du côté du premier mariage de son père, seule la princesse
Marie-Thérèse a survécu,
épousant le roi de France Louis XIV avant de mourir en 1683,
à l'âge honorable de quarante-quatre ans.
Le petit Charles
n'était pas destiné à régner, plusieurs fils se sont succédés,
comme son frère Philippe, mort cinq jours avant la naissance
de la dernière progéniture du couple royal, le 6
novembre 1661. Seulement voilà, victime des différentes
consanguinités, Charles est difforme : un visage long et
étroit, rachitique, il ne saura parler qu'à quatre ans et marcher à
huit ! Le pauvre enfant a aussi diverses maladies, notamment
digestives, mais aussi l’épilepsie. Il vit « en équilibre
instable au bord de la tombe » comme l'écrit l'historien
Philippe Erlanger.
Charles II d'Espagne, par Luca Giordano, 1693 (Musée du Prado) |
Puisqu'il survit, autant
tenter de le marier, et prier Dieu qu'il puisse faire des héritiers.
Deux prétendantes se succèdent : Marie-Louise
d'Orléans, fille de Philippe Ie d'Orléans, frère
de Louis XIV, et après le décès de celle-ci après dix ans
de mariage stérile en 1689, Marie-Anne de
Neubourg, dont l'union restera sans enfant. D'ailleurs, on
n'est même pas sûr que les unions eurent été consommées, c'est
dire …
Mais à l'aube de sa mort
se pose un problème : Charles
est le dernier héritier de la banche Habsbourg d'Espagne, qui doit
lui succéder ? Trois candidats se profilent, trois cousins
(l'Europe est une grande famille, n'oublions pas) :
• Le premier est son
cousin autrichien, l'archiduc Charles.
Il est le fils de l'empereur du Saint-Empire Léopold
Ie, et de sa troisième épouse, Éléonore de
Neubourg. En effet, c'est un Habsbourg et la grand-mère de
l'archiduc est Marie-Anne d'Autriche, la fille de Philippe
III (donc la tante de Charles II
… Vous suivez ? )
• Le second vient aussi
cette branche Habsbourg : Léopold Ie
s'est marié à la sœur de Charles II,
Marguerite-Thérèse, ils ont eu une fille – Marie-Antoinette
– et celle-ci a eu un fils, Joseph-Ferdinand
de Bavière. Mais celui-ci meurt en 1699, donc au
suivant.
• Le dernier, et là
est le nœud du problème, est son cousin français, Philippe
d'Anjou. Je vous le disais, la demi-sœur de
Charles II, Marie-Thérèse, a épousé Louis
XIV, elle lui a donné un fils, Louis, et celui a
un fils, Philippe, apte à succéder.
Ça fait beaucoup de
famille, désolée ! Le souci est d'ordre politique : soit
c'est l'archiduc Charles (futur Charles
VI du Saint-Empire, père de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche) et dans ce cas, l'empire de Charles
Quint serait réunifié ; soit le royaume de France,
le plus puissant en ce Grand Siècle et grand ennemi des Habsbourg,
possède un royaume immense, et incontrôlable, allant de Lille à
Grenade ! Dans le testament qu'il fit rédiger, Charles
II désigne comme successeurs potentiels Joseph-Ferdinand
de Bavière et Philippe d'Anjou.
Quand le premier décède, il est évident que le petit Philippe sera
le futur roi d'Espagne.
Des projets pour se
partager le royaume pour que tout le monde soit content se fait dans
le dos du roi, mais ce dernier refuse, il veut que l'intégralité de
son royaume revienne à une seule et même personne. Charles II signe
son dernier testament secret le 2 octobre 1700, il est en larmes et
s'exclame « Dieu seul donne les royaumes parce qu'ils lui
appartiennent. Déjà, je ne suis plus rien. » Les quatre dernières années de sa vie, il fait plusieurs crises d'épilepsie
par jour, souffre de démence avec hallucinations au point de tuer un
courtisan en 1698, le prenant pour un loup. A partir de 1699, il ne
gouverne même plus, alité, avec de grosses migraines, avant de
s'éteindre dans la douleur le 1e novembre
1700, cinq jours avant ses trente-neuf ans.
Charles II d'Espagne recibe la sagrada forma, par Claudio Coello |
Sauf
qu'à la lecture du testament où Philippe
d'Anjou
est nommé héritier, le Saint-Empire Romain Germanique
refuse ce choix, et à partir de là va commencer une guerre qui va
embraser l'Europe durant treize années : la Guerre de
Succession d'Espagne où les grandes puissances s'allient
contre la France. Plus de 500.000 morts, des batailles à n'en plus
finir pour convenir au traité d'Utrecht en 1713,
où Philippe d'Anjou est
finalement reconnu roi d'Espagne sous le nom de Philippe V, à
la condition qu'il renonce pour lui et toute sa descendance à toute
prétention pour le royaume de France ; puis enfin le traité
de Rastatt, signée le 6 mars 1714, mettant fin
officiellement à la Guerre de Succession d'Espagne. Une guerre qui
ne servit qu'à appauvrir l'Europe, où le royaume d'Espagne est
quand même un peu disloqué puisque les Pays Bas Espagnols
reviennent au Saint-Empire, mais il perd surtout en puissance sur le
rang européen. Quant à Charles II,
il ne fut qu'un mauvais souvenir dans cette dynastie Habsbourg …
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