Nicolas II de Russie
et Alexandra Fedorovna forment un couple attachant, car il s'agit
d'un mariage d'amour, mais aussi car nous connaissons tous le drame
qu'ils ont vécu en 1918. Mais bien loin du temps de la révolution
russe, de la séquestration et de l'assassinat, les deux jeunes gens
ont eu une vie, une vie à s'attendre et à s'aimer. Dix années se
sont écoulées entre leur première rencontre et leur mariage, et il
a fallu quatre ans pour que le tsar Alexandre III, père de Nicolas,
ne consente à cette union. Si la cérémonie en elle-même ne s'est
pas déroulée dans les meilleurs moments, leur amour sincère et
touchant a permis au couple d'affronter tous les désagréments. Et
ce, malgré le deuil …
Le blog reprend vie sous
le signe d'un mariage ! Et pas un mariage arrangé, mal assorti,
désastreux en tout point, mais un mariage d'amour. Nicolas
Alexandrovitch Romanov et Alix de
Hesse-Darmstadt s'aiment sincèrement, se sont attendus,
n'ont plus cru en leur histoire avant de se retrouver et s'aimer au
grand jour, jusqu'à former ce couple impérial que l'on connaît.
Mais avant de raconter cette journée d'union, il est judicieux de
présenter les protagonistes et leur histoire. Commençons par la
mariée.
Alix
de Hesse-Darmstadt naît le 6 juin 1872, elle est la fille
du grand-duc Louis IV de Hesse, grand-duché allemand situé
grosso modo entre la Bavière et le royaume de Bade ainsi que très
vieille famille germanique, et d'Alice du Royaume-Uni,
troisième fille de la reine Victoria et du prince Albert,
une jeune femme versant dans le mysticisme. La jeune Alix
(vous noterez qu'elle ne s'appelle pas Alexandra comme dans le
titre de l'article) voit sa mère mourir très jeune et la voici
envoyée à Londres où elle est recueillie par sa grand-mère, la
reine Victoria, et reçoit une éducation britannique très
complète pour une demoiselle. La jeune fille parle anglais et
français couramment, pratique le chant, le piano et l'aquarelle.
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Alix de Hesse en 1887 (Wiki Commons) |
Son destin se forme en
1884, Alix se rend en Russie pour
le mariage de sa sœur Élisabeth avec le grand-duc Serge
de Russie, grand-oncle du tsarévitch
Nicolas. Les jeunes gens se plaisent, dansent ensemble une
grande partie de la soirée. Elle ne revient qu'en 1889, et la beauté
timide et fragile plaît au jeune Nicolas.
Le comte Lambsdorff donne son avis sur la jeune femme dans ses
mémoires « la princesse est dans le genre de sa sœur,
mais moins jolie. Elle a des tâches rouges jusque dans les sourcils.
Sa démarche est peu gracieuse. Mais l'expression de son visage est
intelligente et son sourire affable. Elle est bien britannique et
parle tout le temps anglais, surtout avec sa sœur. »
Ce n'est pas un portrait flatteur, on ne va se le cacher.
Avant de continuer
l'histoire d'Alix de Hesse-Darmstadt,
future impératrice, découvrons son mari, le tsar Nicolas
II, en savoir un peu plus sur le marié !
Nicolas
Alexandrovitch Romanov naît le 6 mai 1868, son père est
le grand-duc Alexandre, futur tsar Alexandre III en 1881, et
sa mère la princesse Dagmar de Danemark (devenue Marie
Fedorovna). Son grand-père, le tsar Alexandre II, règne
toujours sur la Russie et fait tirer cent-deux coups de canons, signe
de la naissance d'un garçon dans la famille, la descendance est
ainsi assurée. Il s'agit du premier enfant du couple et une
bénédiction pour tous, en témoigne le manifeste impérial publié
le lendemain « Nous sommes certains que ce nouveau
grand-duc consacrera, quand son heure sera venue, sa vie au bonheur
du peuple russe, ainsi que ses ancêtres et nous-même l'avons
toujours fait et continuera à le faire. » Après lui,
cinq autres enfants naissent, dont quatre atteignent l'âge adulte :
Alexandre (meurt enfant), Georges, Xénia,
Michel et Olga. Tout ce petit monde vit au palais
Anitchkov, à Saint-Petersbourg. Surnommé Nicky, le jeune
Nicolas doit subir les études de
son rang, mais n'y trouve que peu d'intérêt. Etonnante éducation
d'ailleurs, ses précepteurs, notamment avec l'historien
Klautchevski, n'ont pas le droit de lui poser de questions, et
il n'en pose pas non plus ! « Nicky » possède un
caractère un peu indolent et paresseux « Pour notre
époque, il possède l'instruction d'un Colonel de la garde issu
d'une bonne famille » le décrit Serge Witte.
Pourtant, le tsarévitch Nicolas
n'est pas non plus un idiot, il parle couramment trois langues
(anglais, français, allemand), aime les arts et la musique, se
montre un excellent sportif comme dans la boxe, le patinage et est un
très bon cavalier. Si tout se passe bien, la mort de son grand-père,
Alexandre II, le bouleverse. Il voit le vieil homme déchiqueté
sur son lit de mort après un attentat à la bombe. Nicolas
n'a que treize ans, et dans son esprits, les révolutionnaires sont
tous des assassins. Ainsi son père monte sur le trône sous le nom
d'Alexandre III et le voici héritier présomptif de la
couronne.
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Nicolas II le jour de son mariage, 26 novembre 1894 (Wiki Commons) |
Durant son adolescence,
il devient Colonel de la Garde impériale et fréquente l'université
de sciences politiques et économiques de l'université de
Saint-Pétersbourg. C'est un jeune homme sérieux dans ses
engagements, mais aussi enjoué et mondain, appréciant la vie et la
fête. En 1890, il s'entiche d'une jeune danseuse, Mathilde
Kschessinska. « Mademoiselle Kschessinska me plaît
décidément » raconte t'il dans son journal le 17
juillet 1890. Bien sûr, cela ne plaît guère à ses parents, et son
père Alexandre III, décide d'avancer le grand voyage de son
fils, pour oublier cette jeune femme. A l'image du Grand Tour de
l'Ancien Régime, le tsarévitch Nicolas
et son frère Georges (qui ne fera finalement qu'une partie
pour maladie) partent de Russie sur un yatch à trois cheminées et
trois mâts le 23 octobre 1890. Direction la Grèce tout d'abord où
les rejoignent leur cousin le prince Georges de Grèce (futur
roi de Grèce, sous le nom de Georges 1e), puis l’Égypte, les
Indes. A Saïgon, on voit le jeune russe danser avec des françaises
à demi-nues, avant de partir pour le Japon. Mais là, c'est un
fiasco, un homme tente d'assassiner Nicolas,
le blessant à la tête et à l'oreille. Le séjour écourté, il
revient en Russie par la Sibérie … et retourne dans les bras de sa
danseuse. Mais leur relation s'étiole, Nicolas
ne cesse de penser à une autre femme : Alix
de Hesse.
« Mon rêve, c'est d'épouser Alix de Hesse. Je l'aime depuis longtemps, mais avec plus de force et de profondeur depuis 1889, lorsqu'elle vint passer six semaines à St-Petersbourg. J'ai longtemps lutté contre mon inclination, essayant de me tromper moi-même en admettant l'impossibilité de réaliser mon plus cher désir … Je suis presque convaincu que nos sentiments sont réciproques. Tout dépend de la volonté de Dieu. Confiant en sa miséricorde, j'envisage avec calme l'avenir. » (journal de Nicolas, 1891)
On ne peut pas se montrer
plus clair dans ses intentions. Seulement, le jeune homme ne peut
décider seul. Et son père le tsar Alexandre III refuse cette
alliance « Je n'y songe même pas » a
t'il déclaré à son ministre des affaires étrangères, le comte
Lambsdorff. Il refuse une alliance allemande, surtout avec une
famille plus modeste et porteuse de l'hémophilie. Et puis c'est la
période d'une énième amitié franco-russe, et même sous une
France républicaine, la princesse Hélène d'Orléans,
arrière-petite-fille du roi Louis-Philippe 1e, est envisagée.
Et comme souvent, Napoléon 1e a aussi essayé, l'union tombe
à l'eau. « Au cours de ma conversation avec
maman, elle a fait quelques allusions à Hélène, la fille du comte
de Paris, ce qui m'a mis dans un étrange état d'esprit. Deux
chemins s'ouvrent à moi ; je désire, moi, aller dans une
direction, tandis qu'il est évident que maman souhaite me voir
choisir l'autre. Qu'arrivera t'il ? » (journal
de Nicolas, 29 janvier 1892) En effet, qu'arrivera t'il ? Du
côté d'Alix, cela tourne au drama : après avoir appris
le russe pour ne pas s'avouer vaincue, elle décide de se murer dans
sa solitude et refuser toute union. Dans sa fierté, elle se préfère
vieille fille que changer de religion. Et du côté russe, Alexandre
III traite toujours son fils d'une vingtaine d'années comme un
enfant, s'imaginant régner encore plusieurs décennies. Mais la
maladie le rattrape et comprend que le temps lui est compté. Il lui
faut marier son fils, et ce dernier lui annonce qu'il est toujours
amoureux d'Alix. Si celle-ci veut
bien changer de religion, le mariage sera accepté.
Cela tombe bien – on se
croirait dans un rpg vu la coïncidence – le nouveau grand-duc de
Hesse, Ernest, se marie en avril 1894, et il est le frère
d'Alix, ce qui veut dire qu'elle
va se rendre à Cobourg. Nicolas,
avec un cortège, s'en va représenter la Russie à ce mariage.
Enfin, il vient surtout convaincre sa bien-aimée de l'épouser. Il a
fallu du temps et beaucoup d'arguments pour faire plier la jeune
Alix, drapée dans sa dignité digne d'une tragédie grecque. Même
le kaiser Guillaume II s'en est mêlé ! Nicolas tente
une première approche le 5 avril 1894, cet « entretien
que depuis longtemps je souhaitais et redoutais à la fois »
mais où il ne ressort que des larmes de la jeune femme. Et
tous les jours, les deux jeunes gens se parlent, pleurent et Nicolas
cherche une solution pour convaincre Alix. Enfin, le 8 avril
« Jour merveilleux, inoubliable de ma vie ! C'est le
jour de mes fiançailles avec ma chère, mon incomparable Alix …
Nous nous sommes expliqués tous les deux. Seigneur, quel poids est
tombé de mes épaules, quelle nouvelle réjouissante à apporter à
mes chers papa et maman ! J'ai marche toute la journée comme en
rêve, sans avoir pleinement conscience de ce qui m'arrivait ….
J'ose à peine croire que j'ai une fiancée. » Enfin !
Et voici les jeunes fiancés heureux, à faire des photographies pour
fêter l’événement et profiter l'un de l'autre jusqu'au départ
d'Alix pour Londres le 20 avril.
Ah au fait, le grand-duc
Ernest de Hesse a épousé la princesse Victoria, une
petite fille de la reine Victoria, le 9 avril, et après une
seule fille née, le couple divorcera en 1901 car la jeune femme ne
supportait plus l'homosexualité de son mariage ni les plaisanteries
à son sujet. Juste pour l'anecdote.
Revenons à nos fiancés.
On fixa vaguement une date de mariage en juin 1895, sans vraiment
s'en occuper. Nicolas partit pour
Londres en juin 1894 pour revoir sa belle et lui donner ses cadeaux
de fiançailles. Et je vous spoile, mais ce n'était pas un robot
Moulinex. Non, on voit que c'est un autre standing :
- une bague ornée d'une
perle rose
- un collier assorti de
perles rose
- une chaîne en or avec
une grosse émeraude
- une broche ornée de
diamants et saphirs
- un lourd sautoir de
perles par Fabergé, cadeau d'Alexandre III
Les jeunes gens s'aiment,
au point qu'ils écrivent dans le même journal, pour s'encourager,
s'aimer et se souvenir ensemble. « Les mots sont trop
pauvres pour exprimer mon amour, mon admiration et mon respect pour
vous » écrit Alix
le 8 juillet.
Côté Russie, Alexandre
III s'enfonce dans la maladie, il faut accélérer la procédure
de mariage, faire venir la fiancée en Crimée où la famille se
retrouvent. Alix arrive le 10
octobre mais le tsar meurt le 1e novembre, et le tsarévitch Nicolas
devient Nicolas II, tsar de
toutes les Russies. Pendant ce temps, Alix
de Hesse se convertit officiellement à l'orthodoxie,
devenant Alexandra Fedorovna.
Malgré le deuil, Nicolas II
pense au mariage et voudrait célébrer leur union au palais de
Livadia « tant que papa est encore sous le toit de la
maison » mais toute la famille s'y oppose :
d'abord les funérailles impériales, le mariage après.
Les fiancés auraient du
attendre de longs mois, attendre la fin de la période du deuil, pour
convoler ensemble. Malgré la tristesse, ils s'aiment et n'en peuvent
plus d'attendre. Ils se connaissent depuis dix ans, s'attendent
depuis quatre années et maintenant qu'ils pourraient se marier, ils
doivent encore attendre ? Non, Nicolas
II refuse et organise le mariage, qui a lieu ce 26
novembre 1894.
![]() |
Mariage du tsar Nicolas II et de la princesse Alexandra Fiodorovna, Laurits Tuxen 1895 (Musée de l'Hermitage) |
Au Palais d'Hiver de
Saint-Petersbourg, Nicolas II
porte l'uniforme rouge de colonel des hussards, avec un dolman
galonné d'or à l'épaule. La désormais appelée Alexandra
a revêtu une longue robe de soie blanche, brodée de fleurs
d'argent, dont la traîne est portée par cinq chambellans. La
cérémonie se fait l'intimité familiale vu les circonstances, point
de grande fête ni de listes d'invités à n'en plus finir. Le plus
important pour eux, c'est l'amour. « J'étais glacée de
timidité, de solitude au milieu de ce décor inhabituel. Notre
mariage me parut encore un de ces services funéraires auxquels je
venais d'assister – seulement, j'étais en robe blanche »
s'est confiée l'impératrice à Anna Vyroubova. Après la
bénédiction, le petit cortège se met en marche jusqu'à la
cathédral de Kazan pour le Te Deum, sous les acclamations de la
foule. Enfin, le couple retourne au palais Anitchkov où
l'impératrice douairière attend les jeunes mariés avec la
tradition du pain et du sel. Bien sûr, après la cérémonie, la
nuit de noces où, d'après les dires, tout s'est très bien passé.
« Ainsi me voilà un homme marié » raconte
Nicolas dans son journal le
lendemain.
Si le couple a vécu de
nombreuses difficultés au cours du règne de Nicolas II, je tiens à
finir cet article sur ces mots du journal après cette union d'amour
« Je bénis le Seigneur et le remercie du fond de l'âme
du bonheur qu'il m'a octroyé » de la part de
Nicolas II et « Je
t'aime, ces trois mots renferment toute ma vie » de
la part de l'impératrice Alexandra.
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